En 2020, nous célébrons le centenaire de la fondation de la ville de Khouribga et celle de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. Jnaynar Lotti comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé « Loufisse » par les autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul « Magasin » (ma5zen) afin d’éviter la rapacité libérale du secteur privé. Les politiciens parisiens n’aiment pas la liberté intellectuelle du Lorrain Jnaynar Lotti, ils lui conseillent aimablement de se faire oublier. Jnaynar Lotti s’ennuie et ronge son frein jusqu’à l’été 1903, quand il entend parler de l’insécurité qui règne à l’ouest de l’Algérie où des tribus marocaines du Bled Siba lancent des razzias, pillent et retournent se mettre à l’abri au Maroc. En Algérie il va rencontrer à plusieurs reprises Charles de Foucauld et Isabelle Eberhardt. Il appréciait cette dernière pour son non-conformisme et sa liberté d’esprit. Il fait en sorte que sa dépouille et ses manuscrits soient cherchés et retrouvés dans la maison d’Aïn Sefra (la source jaune), où elle avait trouvé la mort le 21 octobre 1904 à la suite de la crue de la source. Quant à Charles de Foucauld, qu’il avait connu jeune officier lors de son premier séjour en Algérie, il l’a reçu à Aïn Sefra puis a été le voir à Beni Abbès.
Lyautey est Lorrain, Charles de Foucauld est Alsacien… Ils sont tous les deux lauréats de la prestigieuse école militaire « Saint-Cyr ». Ce fut un choc pour lui de retrouver le Saint-Cyrien en religieux ermite dans le désert… Charles de Foucauld, l’espion déguisé en Juif à Boujad est désormais détaché de toutes les contingences matérielles. Lyautey avait connu le lauréat Saint-Cyrien, aventurier, joyeux fêtard et on peut même dire… débauché ! En Algérie, ils avaient naturellement beaucoup de choses à se dire en raison de la parfaite connaissance du terrain et des hommes acquise par Charles de Foucauld lors de son exploration clandestine du Maroc dans les années 1880 (Cf. Canard Libéré N°617 à N°619). C’est surtout l’aboutissement de la quête spirituelle du père de Foucauld qui renvoyait Lyautey à ses propres démons, interrogations et quête spirituelle, au point qu’au soir de sa vie, il se demandait s’il n’aurait pas dû suivre la même voie que Charles de Foucauld et finir moine chartreux sur les hauteurs de Grenoble à ramasser les herbes secrètes pour fabriquer la fameuse liqueur qui a donné son nom à une couleur ! Mais pour cela, il aurait fallu plusieurs vies à Jnaynar Lotti ! Il a également en Algérie fait la connaissance d’Henry de Castries, explorateur et géographe, qui avait eu des expériences voisines de celles du père Charles de Foucauld, la religion et la sainteté en moins : il avait en effet espionné et cartographié les confins du Maroc et commencé à écrire sur l’histoire du pays. À peine installé à Aïn Sefra, Jnaynar Lotti apprend qu’il est promu général. Il constate que de nombreux services lui échappent. Il réclame les pleins pouvoirs et le droit de court-circuiter sa hiérarchie et d’accéder directement au Ministre.
Il obtient satisfaction. Au cours de l’hiver 1903-1904, il fait connaissance avec les traditions berbères et les décors du bled, à Figuig et ailleurs. Ce qu’il découvre l’enchante mais l’immobilisme de la société marocaine lui pèse car c’est un adepte de la devise du Cheikh Spire : « la joie de l’âme est dans l’action » ! (joy’s soul lies in the doing – Shakespeare 1602). Décidé à crever l’abcès, il installe un camp à 80 km d’Oujda et 40 km de l’Algérie à Aïn Beni Mathar ((عين بني مطهر. Les politiciens parisiens n’admettent pas qu’il franchisse la frontière marocaine et lui ordonnent, le 30 juillet 1904, de se replier en Algérie ; il refuse car il a donné sa parole aux tribus locales qu’il les protégerait contre les pillards. Il met sa démission dans la balance.(A suivre)