Nous célébrons le centenaire de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. Jnaynar Lotti, comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé « Loufisse» par les Autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul « Magasin » (ma5zen) afin d’éviter la rapacité du secteur privé. Le 11 décembre 1916, Lyautey reçoit un télégramme du premier ministre français Aristide Briand lui proposant le poste de ministre de la Guerre. Lyautey hésite beaucoup à cause de la situation qui s’est tendue au Maroc avec l’arrivée par sous-marin d’émissaires allemands auprès d’Ahmed Al-Hiba, le fils de Maa Al3aynine qui s’est autoproclamé sultan à Tiznit, comme son père l’avait fait avant lui. Al-Hiba a gagné un allié puissant en la personne de Madani, le chef de famille des Glaoui. La France est en guerre contre ses propres Chleuhs : les Teutons. La situation est catastrophique et les pertes énormes ; Lyautey, économe en vies humaines, a parlé de « gaspillage effréné et désordonné». Il a des doutes sur les capacités de ses collègues et ne fait aucune confiance aux politicards parisiens qu’il nomme « cette race ». Il finit par accepter l’offre d’Aristide Briand. Lyautey s’efforce de mettre sur pied un pilotage centralisé de l’administration de la guerre.
Dès son arrivée à Paris, Lyautey va faire l’objet d’une campagne insidieuse menée par la Gauche qui le présente comme une sorte de Napoléon Bonaparte de retour d’Égypte, prêt à fomenter un coup d’État militaire. Il irrite les politiques paralysés par leur cerveau binaire qui n’arrive pas à mettre Lyautey dans une case : un type de droite qui affiche des préoccupations sociales ! Son refus de faire du Maroc une colonie française est un reproche récurrent. Lors du débat parlementaire voulu par l’opposition, rendue furieuse par le choix du responsable de l’aviation que Lyautey vient de créer. Les ‘‘parlementeurs’’ empêchent Lyautey de prononcer son discours par une bronca de grande ampleur. Lyautey quitte la tribune et démissionne le soir même après avoir dit à Guillaume de Tarde, un périgourdin de Sarlat qui a vécu plus que centenaire (1885-1989): « Tu avais raison, je n’ai jamais rien compris à cette race ».
Lyautey envoie tout de même le texte du discours qu’il n’a pas pu prononcer aux responsables politiques ; seul le président français Gaston Doumergue répond qu’il l’approuve entièrement. Combattu depuis des mois avec acharnement par Clemenceau, meneur des jusqu’au-boutistes, Aristide Briand démissionne deux jours plus tard. Clemenceau et Briand étaient adversaires durant la Première Guerre mondiale. Clemenceau a dit de Briand qu’il était un « imbécile ». L’offensive déclenchée contre les Allemands en avril sera, comme l’avait prévu Lyautey, un désastre ! À la fin du mois de mai 1917, les politicards parisiens décident d’appliquer les idées de Lyautey sur l’unité de commandement, en appelant Foch au commandement suprême des armées et Pétain au poste de chef d’état-major général chargé de faire le lien avec les Alliés. On avait pourtant en janvier 1917 refusé à Lyautey la création de ce poste de chef d’état-major général, sans doute parce que le candidat qu’il proposait ne plaisait pas aux politicards parisiens. Clemenceau, revenu au pouvoir à la fin de l’année 1917 et dont les relations avec Lyautey ont été le plus souvent conflictuelles, avalise ces décisions et pour certaines les renforce. À partir de cette année 1917, la France va encourager la culture du blé au Maroc pour compenser le déficit de la production française car tous ses paysans ont été envoyés aux abattoirs en chantant la Marseillaise jusqu’à ce qu’un « sang impur abreuve leurs sillons » : de 4 000 hectares marocains labourés en 1917, la surface est rapidement passée à 6 000 en 1918, puis 44 000 en 1924, 70 000 en 1925, avant de se stabiliser 71 000 en 1926. (A suivre)