Khouribga, une ville française… (33)

Nous célébrons le centenaire de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. Jnaynar Lotti, comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé « Loufisse » par les Autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul « Magasin » (ma5zen) afin d’éviter la rapacité du secteur privé. Il quitte la France et sa fonction de Ministre de la guerre en 1917 et arrive le 29 mai à Casablanca pour reprendre le développement du Maroc, là où il l’avait laissé. Pour l’aider dans cette tâche, il s’entoure d’une équipe de fidèles. Parmi eux, les trois militaires qui vont lui succéder comme résident général : Noguès, Juin et Guillaume. Les trois feront tout le contraire de la philosophie de Lyautey, une fois au pouvoir…

Blacque-Belair écrit à ce propos en 1922 : « Le maréchal s’entoure trop facilement de gigolos, qui débarquent de Paris, passent à Rabat six mois par an et traitent tout un peu à la légère. Porteurs souvent que d’un beau nom ou d’un physique plaisant, ils sont peu disposés à être les porte-parole et les réalisateurs des idées admirables du Maître. Celui-ci a bien perdu en perdant des hommes comme les colonels Delmas et Berriau ». Le même pense aussi que Lyautey fait un peu trop confiance, car certains membres de l’équipe ont « l’improbité prospère », une accusation qu’il n’est pas le seul à formuler.

L’économie du Maroc va être stimulée après-guerre par la découverte fortuite faite, en 1917, à l’occasion de travaux d’une ligne de chemin de fer, des phosphates de Khouribga. Déjà, depuis 1908, on savait qu’il y avait des phosphates au Maroc et c’est une des raisons de l’intérêt des Allemands pour le pays. L’importance du gisement de Khouribga est considérable et la quasi-totalité de la production sera exportée. Lyautey prend deux décisions : d’abord, l’exploitation sera confiée non à des intérêts privés – la banque BNP voulait exploiter ces mines – mais à l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates, créé en 1920, une décision qui n’est pas celle d’un homme de droite. Ensuite, les travaux pharaoniques du port de Casablanca, toujours en cours, sont modifiés avec la création d’un quai des phosphates, doté de larges surfaces d’entrepôts, de grues dédiées et de liaisons ferroviaires. L’exploitation commence en 1921 et restera à jamais et jusqu’à nos jours une manne pour le Maroc. La Banque de Paris et des Pays-Bas (l’actuelle BNP), évincée de l’exploitation des phosphates, se rattrape en obtenant, toujours en 1920, la concession du transport ferroviaire au Maroc. Elle crée à cet effet la CFM (Compagnie des chemins de Fer du Maroc), dont les débuts sont très lents, tant que la traction électrique n’a pas été adoptée. Cette CFM deviendra célèbre dans le monde entier quand elle construira un hôtel de luxe à Marrakech, en 1923 : la Mamounia, bientôt suivi des hôtels rachetés à la Compagnie Générale Transatlantique (Palais Jamaï à Fès, Transatlantique de Casablanca, Meknès et Agadir).

La concession de l’électricité suit celle des chemins de fer ; elle est accordée en mai 1923 et autorise, entre autres, la construction de plusieurs barrages sur la rivière ‘‘Mère du Printemps’’ (Oum Rbi3 en arabe). Une société est créée en janvier 1924 : Énergie électrique du Maroc (EEM), chapeautée encore par la banque BNP, qui la contrôle directement ou via sa filiale CFM. Dès septembre 1924, une grosse centrale thermique entre en service sur le site des Roches Noires à Casablanca. ‘‘Rochinoir’’ en Marocain) … Comme si les ‘‘Bidawa’’ (peuple de Casablanca) avaient attendu l’arrivée de la France pour baptiser ainsi ce quartier… Sans doute ça faisait trop arriéré à l’époque de dire ‘‘S5ar lak7al’’ ?). ‘‘Rochinoir’’ est l’un des plus beaux quartiers de la ville depuis ces années 1920 : il n’abritait au départ que des immigrés européens (Français, Italiens, Portugais et Espagnols) venus tenter leur chance au Maroc : les Pieds Noirs de Rochinoir. (A suivre)

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