Khouribga, une ville française… (34)

Nous célébrons le centenaire de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé ‘‘Loufisse’’ par les autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen) afin d’éviter la rapacité du secteur privé. La découverte fortuite des phosphates chez les Ouled Abdoun, faite en 1917, à l’occasion de travaux de la ligne de chemin de fer Casablanca/Oued-Zem, va booster l’économie du Maroc et plus particulièrement celle de la ville de Casablanca. Les immigrés européens (Pieds-noirs d’Algérie, Français de métropole, Italiens, Portugais et Espagnols) vont venir tenter leur chance dans cette ville. Antonio, attiré par la promesse d’une vie meilleure, va quitter Valencia en Espagne pour tenter sa chance en Algérie. A Sidi Bel Abbès, il épousera une Espagnole, Assomption, dont les parents sont des primo-migrants originaires de la région de Murcia.

Antonio a un sens désastreux des affaires et va ‘‘manger’’ la dot, en coulant la boucherie-charcuterie qu’il a reprise à sa belle-famille. La famille, Antonio journalier, et Assomption sans profession mais très prolifique en ayant engendré 5 gosses, vit dans l’extrême pauvreté. En 1921, un de ses cousins lui rend visite et lui narre ‘‘la Californie’’ qu’est devenue Casablanca sous l’impulsion de Lyautey. L’année suivante, Antonio décide de suivre le conseil de son cousin et part s’installer avec sa nombreuse famille dans cette ville. Leur voyage rappelle le roman de Steinbeck, ‘‘Les Raisins de la colère’’, l’histoire des migrants fuyant la sécheresse de l’Oklahoma et partis « peupler » la Californie, à pied ou entassés dans diligences, sur la mythique route 66 des USA… Ou encore, de nos jours, la tragédie des Syriens venus « mendier » dans les couloirs du métro parisien.

Les 7 membres de la famille d’Antonio traversent Oujda, Fès, Meknès, et Rabat jusqu’à Casablanca perchés sur une camionnette. Ils s’installent à « Cuba », où des bidonvilles ont été construits sur les lieux de l’actuel Mers Sultan. Antonio y acquiert un café-bal dans lequel il organise des ‘‘7al9a’’ (exhibitions de boxe) avec ses 4 fils. Son troisième garçon y dispute son premier combat de boxe à l’âge de huit ans. À dix ans, il boxe au cinéma Majestic, comme ses 3 frères, et oblige son jeune adversaire à se réfugier derrière l’arbitre, remportant en guise de victoire des ‘‘sbardila’’ (espadrilles) et une barre de chocolat pourtant promise au vaincu. Le gamin apprend le parler du bled, le Marocain. Il n’aime pas la ‘‘sakouila’’ (école) et est happé par le foot joué dans la poussière du quartier des M3arif. Enfant de la rue, il vit dehors, court, joue à cache-cache entre les ‘‘karouila’’ et parfois se bagarre. Il ne fréquente la ‘‘sakouila’’ qu’à l’heure de la ‘‘cantina’’ pour manger, ratant sa ‘‘chahada’’ (certificat d’études). Il travaille comme ‘‘cycliste’’ (réparateur de vélos) puis ensuite comme ‘‘micaniciane’’ dans un garage Renault. ‘‘Grissoune’’, il est affecté au graissage des ponts arrière mais passe ses journées à dormir sous les châssis si bien qu’après quelques jours, il est renvoyé. Devenu plombier et après avoir égaré la boîte à outils, il démissionne pour sauver son honneur.

Redevenu ‘‘cycliste’’, il est de nouveau viré après s’être fait voler la ‘‘bachklita’’ (vélo) que lui prêtait son employeur alors qu’il jouait au foot. Le fils d’Antonio fera encore de nouveaux essais comme ‘‘triciane’’ (électricien) dans les Chantiers du Maroc. Antonio est persuadé que son fils a de l’or dans les poings, et qu’un jour il rentrera dans la légende. Son succès par KO contre le boxeur Tony Zale aux USA offrira un accueil de héros au ‘‘bombardier marocain’’ à son retour au bled. Compagnon d’Édith Piaf, sa notoriété dépasse le cadre sportif. Marcel Cerdan mourra dans un accident d’avion dans la nuit du 27 au 28 octobre 1949. Le 10 novembre 1949, soixante-dix mille personnes assistent à son enterrement au cimetière de Ben M’Sik à Casablanca. (A suivre)

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