Nous célébrons le centenaire de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. « Jnaynar Lotti », comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé « Loufisse » par les Autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul « Magasin » (ma5zen) afin d’éviter la rapacité du secteur privé. La découverte fortuite des phosphates chez les Ouled Abdoun, faite en 1917, à l’occasion des travaux de la ligne de chemin de fer Casablanca/Oued-Zem, va booster l’économie du Maroc.
Lyautey continue de lutter contre les tribus dissidentes de bled Siba et rêve de reformer l’Empire chérifien, qui du temps du Sultan Ismaïl (1645-1727), s’étendait de la Méditerranée jusqu’à Tombouctou et Gao dans l’actuel Mali et fut le seul pays arabe à s’opposer à sa colonisation par les Turcs. Lyautey va sous-traiter la pacification du Sud marocain aux caïds Goundafi et Glaoui. Ces féodaux vont combattre les Soussis enrôlés sous la bannière d’Al Hiba, un énième candidat au sultanat. Une autre opération militaire aura lieu en septembre 1920 à Ouazzane, un sanctuaire religieux qui échappe à l’autorité du Sultan. Cette ville est doublement sainte suite au passage d’un descendant du Roi Driss II, le soufi Abdallah Chrif, et d’un rabbin, faiseur de miracles, Rabbi Amram Ben Diwan. Jnaynar Lotti va chercher à éviter toute effusion de sang dans ce lieu vénéré. Il engage des négociations et finira par entrer dans cette ville un mois plus tard en compagnie du sultan Youssef qui recevra un accueil triomphal et pourra faire ses dévotions au mausolée du saint soufi.
À la même époque, il envoie deux colonnes dans le grand sud contre des tribus dissidentes de Tarfaya, mais comme il s’agit d’un territoire espagnol, son action est stoppée net par les politiques parisiens. En 1923, Jnaynar Lotti attaque les Tazis qui bloquent le passage vers l’Algérie au niveau de Taza. Cette action militaire donnera lieu à de violentes batailles. Sur le terrain, il y a le légendaire limousin Henry de Bournazel et son jeune capitaine, le Vendéen Jean de Lattre de Tassigny. La santé de Lyautey est de plus en plus chancelante. Ses activités incessantes et son peu de sommeil épuisent ses collaborateurs. Son corps ne suit pas et l’oblige à partir un mois en cure à Vichy. En février 1923, à Fès, ses médecins diagnostiquent une crise de vésicule biliaire qui nécessite une opération. Il est intransportable. La foule se rassemble sous ses fenêtres et les 3olama (savants de la chose religieuse) vont réciter des versets coraniques à haute voix autour de son lit. L’imam de la ville de Moulay Driss vient avec un flacon d’eau de la source locale et des bougies qu’il allume et place au pied du lit de Jnaynar Lotti. Le lendemain, il se sent mieux. Son entourage crie au miracle, car il peut envisager de partir à Paris se faire opérer. Un an plus tard, nouvelle crise et nouvelle opération. Il passera plusieurs mois à Paris jusqu’aux élections.
Avant de prendre le train à la gare de Lyon à Paris, il déclara : « Je ne retourne à Rabat que pour faire mes malles… les élections, ma santé, c’est bien fini ». En plus des Soussis du Sud que combattaient les féodaux Goundafi et Glaoui, Jnaynar Lotti va avoir d’autres soucis au Nord avec les colons européens qui veulent « algériser » le Maroc. Lyautey, malade, sent que l’administration lui échappe petit à petit. Paris est de plus en plus hostile à sa vision marocaine et a un projet de « colonisation de peuplement » à l’instar de ce qui se fait en Israël de nos jours. Il va alors présenter par trois fois sa démission: fin 1923, en octobre 1924 et en 1925 après la nomination de Pétain pour diriger les opérations militaires contre Abdelkrim Khattabi dans le Rif. Lyautey souhaitait ménager Khattabi, dont il a reconnu la valeur et qu’il verrait bien comme caïd du Rif, reconnaissant l’autorité du Magasin. Pétain de concert avec Franco, aligne 400 000 soldats et écrase Khattabi. L’usage d’armes chimiques fait des ravages dans la population civile. (A suivre)