Les Ouled Abdoun célèbrent le centenaire de la ville de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nomment les 3abdouni, en signant le décret du 27 janvier 1920, était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce ‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen), Lyautey a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Dès juin 1921, la première cargaison de phosphates est transportée à bord du train de Boujniba vers le port de Casablanca. Un an plus tard, le 19 octobre 1922, ‘‘Jnaynar Lotti’’ est invité à poser la première pierre de la Mosquée de Paris. Il s’agit de la première mosquée du monde occidental après la chute de l’Andalousie. Son discours est toujours d’actualité : « Messieurs, le 1er mars dernier, Monsieur Maurice Colrat (…), disait : ‘‘Quand s’érigera le minaret que vous allez construire, il ne montera vers le beau ciel d’Ile-de-France qu’une prière de plus dont les tours catholiques de Notre-Dame ne seront point jalouses’’ ». De nos jours, en 2021, un siècle plus tard, aucun homme politique français ne peut avoir le courage d’une telle envolée lyrique sans être immédiatement sanctionné par les urnes. Cet ‘‘Islam de France’’ est aujourd’hui dépassé par un ‘‘Islam en France’’. Le débat se mord la queue et restera coincé en 2022 entre un Macron qui se lepénise et une Marine qui se macronise. Cinq ans après cette pose de la première pierre, le jeudi 15 juillet 1926, les Parisiens sont nombreux à vouloir assister à l’inauguration de la Mosquée de Paris par le président français Gaston Doumergue et le Sultan marocain Youssef. Inspirée de la mosquée 9araouiyine de Fès, elle a été construite dans le style des Almohades comme la Koutoubia de Marrakech, la Tour Hassan de Rabat et la Giralda de Séville en Andalousie. Ses zelliges ont été confiés à des artisans fassis. La France voulait aussi couper l’herbe sous le pied aux Allemands qui construisaient des mosquées pour les prisonniers indigènes et les poussaient au jihad contre la France. Ce fut aussi un hommage aux 70000 soldats indigènes tombés à Verdun sous les canons allemands. La mosquée de Paris a été financée par l’Etat français à hauteur de 1 demi-million de francs.
Le budget sera complété par les dons des pays musulmans dont le Maroc. Pour ne pas contrevenir à la loi de 1905 de séparation des Églises et de l’État, la République a subventionné la bibliothèque, le hammam, les salles d’étude et de conférence… L’ancien maire de Lyon, Edouard Herriot, s’exprimait ainsi en 1920 lors du débat sur le financement de cette Mosquée de Paris : « Il n’y a aucun inconvénient à donner aux musulmans une mosquée, puisque très légitimement nous donnons aux catholiques des églises, aux protestants des temples et aux israélites des synagogues ! ». Le 16 juillet 1926, au lendemain de l’inauguration, la presse vante la beauté du lieu, présenté comme une incomparable vision orientale sortie tout droit d’un conte des 1001 nuits. Sur les 7 500 m2, plus de 3 500 sont réservés à des jardins mauresques. Un minaret de 33 mètres domine ces espaces verts, patios et autres allées carrelées de mosaïques multicolores. Les bâtiments regroupent une salle de conférences, une bibliothèque, une salle de prière et diverses annexes auxquelles s’ajoutent les coupoles du hammam et les courettes du café maure.
Le site possède un magnifique minbar (non ! pas un « minibar », mais une chaire oratoire en arabe). Hélas, cet embryon d’un ‘‘Islam de France’’ en plein centre historique de la capitale est aujourd’hui marginalisé par un ‘‘Islam en France’’, ailleurs, moins visible, moins contrôlé, mais aussi moins respecté. De nos jours, cette mosquée est gérée par la mafia au pouvoir en Algérie, oubliant qu’en 1926, la veille de son inauguration, l’Algérien Haj Messali critiquait « une mosquée réclame, un cabaret oriental » et une « insulte à l’esprit de l’Islam ». Pour le haineux antisémite Charles Maurras, cette mosquée est « une offense à notre passé et une menace pour notre avenir ».
(A suivre)