Khouribga, une ville française… (48)

Nous célébrons le centenaire de la ville de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nommaient les Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce ‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen), Lyautey a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Dès juin 1921, la première cargaison de phosphates est transportée à bord du train de Boujniba vers le port de Casablanca. Pour le Libanais Chakib Arsalane, un prince druze nationaliste panarabe, « Lyautey est un ennemi qui ne commet pas d’actes indignes. Il est au point de vue indigène le plus dangereux Français que le nord d’Afrique ait connu, parce que le plus sage. Il savait par sa sagesse calmer les Arabes ». C’est ainsi que cet émir du Moyen-Orient essayait de s’expliquer, en 1931, à l’occasion de l’exposition coloniale de Paris que Lyautey présidait, le respect qu’ont les Marocains pour ‘‘Jnaynar Lotti’’. Lyautey était certes un royaliste profondément légitimiste, mais il a toujours méprisé la République française, même si cette dernière n’a cessé de l’honorer, le faisant tour à tour académicien, ministre de la guerre, maréchal, commissaire de l’Exposition coloniale de 1931… ‘‘Jnaynar Lotti’’ s’est fait beaucoup d’ennemis à Paris. Philippe Pétain a profité de la guerre du Rif d’Abdelkrim 5atabi pour le pousser à quitter le Maroc.

Chakib Arsalane, le prince de l’éloquence (أمير‭ ‬البيان) passe sous silence le fait que ‘‘Jnaynar Lotti’’ s’est battu pour absoudre la rapacité et la brutalité coloniale, ainsi que le regard hautain qu’ils portaient sur les indigènes. Les nationalistes panarabes avaient une vision binaire et des idées simplistes des rapports de force qui les ont menés droit vers la Guerre du Golfe en 1990 et Da3ich de nos jours en 2021. ‘‘Jnaynar Lotti’’ était un personnage complexe : monarchiste au service de la République, Général dans l’armée française tout en méprisant l’esprit militaire, fervent catholique tout en défendant l’Islam, légitimiste défendant le Sultan contre les potentats tribaux, un type imbu de son autorité déniant celle de sa tutelle parisienne… Avec lui les révoltes de Bled Siba se font plus rares et le Magasin (makhzen) est devenu plus fort.  Selon les termes d’un sultan, les Marocains sont devenus des « djaj bi 3em3om n7asse (poules au bec de cuivre), incapables de faire le moindre mal au Magasin. La nature des révoltes des Marocains va se modifier rapidement car les villes ont considérablement augmenté de taille. De même, les Marocains vont eux-mêmes changer. Désormais, ils vont se définir par leur position sociale. Ils commencent à tirer leur identité de leur appartenance aux strates sociales. Chez les Ouled Abdoun, les « 5amassa » (des métayers rémunérés par le cinquième de la récolte) vont se muer en une nouvelle classe sociale salariée à l’année : celles des « zoufria» (ouvriers). C’est une révolution culturelle qui va entraîner une restructuration sociale.

Les Ouled Abdoun vont passer du jour au lendemain du nomadisme pastoral à la sédentarité ouvrière. Cela ne va pas être chose facile pour les managers zéropéens de l’époque, en dépit de la volonté de Loufisse (L’OCP) de fixer ces nouveaux « zoufria » dans des « villages miniers » périphériques de style traditionnel. Ces nombreux cadres administratifs et techniques zéropéens vont fournir des modèles d’habitat et de modes de vie qui, de rêves inaccessibles ou de spectacles curieux qu’ils étaient tout d’abord, sont devenus des thèmes d’ambition populaire. Plus tard, Khouribga deviendra l’un des bastions de la revendication syndicale. En plus du modèle des managers zéropéens, Casablanca exercera aussi sur les zoufria des mines de Khouribga une puissante attraction avec toutes les séductions de la modernité. Le Développement de Khouribga apparaît comme la résultante de forces qui se contrarient mutuellement : la croissance de la production des phosphates, les besoins en main d’œuvre sédentarisée, transformer les 5amassa en zoufria et en attirer d’autres qui soient plus stakhanovistes, gérer l’expansion démographique rapide de la ville et le retard en équipements nécessaires pour répondre aux besoins de ces zoufria creatio ex nihilo. (A suivre)

Les plus lus
[posts_populaires]
Traduire / Translate