Khouribga, une ville française… (50)

Nous célébrons le centenaire de la ville de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nommaient les Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce ‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen), Lyautey a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Dès juin 1921, la première cargaison de phosphates était transportée à bord du train de Boujniba vers le port de Casablanca. L’OCP commença par construire un village zéropéen au sud de cette voie de chemin de fer. Ce village comprenait des commerces et des administrations (PTT, banque, perception, Municipalité). Quatre rues parallèles débouchaient sur deux places. L’une à l’ouest était un grand terrain vague où très souvent avaient lieu des rencontres de football entre les gamins du village zéropéen et ceux de la médina marocaine. L’autre, à l’est était le centre de Khouribga. C’est là où se trouvait l’unique bureau de Poste, la banque, c’était aussi un carrefour du trafic des véhicules. Dans les représentations des 5riguis, « aller en ville » c’était aller dans ce quartier. Le nord de la voie ferrée représentait la médina. Les commerces situés au sud de la voie ferrée avaient pour clients les zéropéens. Au commencement, il y avait des épiceries, des cafés, deux hôtels et le cinéma Meteor, un magasin d’articles de sport, une librairie, des magasins de vêtements. Le commerce d’alimentation était tenu par des grecs, des berbères et des juifs. Le village des cadres, au sud du centre commercial, occupait tout le sud de la ville de Khouribga. C’était un ensemble de quartiers de villas de dimensions variées. Les équipements nécessaires y étaient presque au complet : des églises (catholique, protestante, orthodoxe), un hôpital privé de l’OCP (en fait le plus grand de la ville), des terrains de sport, un cercle des cadres (café, salle des fêtes et piscine avec toboggan), deux écoles, un collège et un supermarché que les indigènes appelaient « Liconoma ».

La qualité des villas attribuées variait selon les grades des salariés de l’OCP. Le village zéropéen était un espace paisible, peu animé, dominé par un mode de vie français: pratique des rituels religieux du dimanche, fêtes, kermesses liées au calendrier religieux. La médina marocaine, au nord de la voie ferrée, ne dépendait pas administrativement de l’OCP même si elle en dépendait économiquement. La forêt domaniale des eucalyptus délimitait la ville de Khouribga au nord. Au nord de la médina se trouvait le souk de Khouribga qui se tenait tous les dimanches et qui rassemblait sur un même lieu les paysans de la région et les citadins. Entre les deux extrémités de cette médina, deux bidonvilles se sont développés surtout après la seconde guerre mondiale : Douar « La7ouna » (ils nous ont jetés en Marocain) à l’ouest et Douar 3allal, à l’est. Au départ, les premiers migrants venus, attirés par la Californie qu’était devenue 5ribga, commencèrent par construire une nwala (une hutte constituée essentiellement par un bâti conique de roseaux et de chaume, généralement entourée d’une « zriba » (cour fermée). Pour les zmagria qui arrivaient à 5ribga, ils devenaient alors propriétaires d’un logement avec un coût trois fois inférieur à celui de la construction d’une baraque (barraka en Marocain) avec des bidons métalliques ouverts et aplatis. Ces bidonvilles n’ont jamais fait l’objet de travaux d’assainissement nécessaires.

Douar La7ouna a traditionnellement abrité les activités marginales de la ville (prostitution entre autres). Au fur et à mesure du développement de l’exploitation minière des phosphates, l’OCP va construire des quartiers, appelés « labioutes » (les chambres en Arabe), sur le modèle de la médina arabe pour héberger les zoufria (ouvriers) recrutés dans les lointaines régions d’Agadir, d’Essaouira et Safi (3abda). Ces constructions typiquement marocaines, avec hammam et four public gratuits pour les agents de l’OCP, traduisent sa volonté de fixer la main-d’œuvre et empêcher les zmagria de rentrer dans leur région natale, une fois une solide épargne constituée au bout de 2 ou 3 ans d’économies et de privations. (A suivre)

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