Khouribga, une ville française… (55)

Nous célébrons le centenaire de la ville de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nommaient les Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce ‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen), Lyautey a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Dès juin 1921, la première cargaison de phosphates est transportée à bord du train de Boujniba vers le port de Casablanca. Le gisement des Ouled Abdoun à Boujniba, dans les environs de la future ville de Khouribga, est le premier à être exploité. En septembre 1924, le Sultan Youssef, himself, visite les mines de Khouribga.  

C’est la première fois qu’un souverain marocain visite les installations de l’OCP. Benji, le seigneur de Mnina, un point d’eau au nord de l’actuelle Khouribga a été mobilisé, comme tous les autres seigneurs des Ouled Abdoun, par les autorités coloniales pour faire honneur à la première venue du Sultan chérifien dans les mines de l’OCP. Benji a ainsi passé toute la semaine précédant la visite du Sultan, à préparer son alezan, un pur-sang arabe, et à brosser son pelage roux à brun plus ou moins foncé, les crins et les extrémités étant de la même couleur ou d’une nuance plus claire que la robe, mais jamais plus foncés que celle-ci. Son cheval était un alezan brûlé, couleur du café torréfié, quasiment marron. Le mot français « alezan » provient de l’espagnol alazán (mot connu depuis 1280), lui-même provenant de l’arabe al-hisane (« le cheval » en français).

Pour les personnes parfaitement bilingues, lorsque nous disons « son cheval est un alezan », c’est un pléonasme qui nous fait bien rire ! En réalité, nous disons « son cheval est un cheval ». Benji et les autres seigneurs avaient ordre de fêter la venue du Sultan chérifien par une magnifique « Fantasia ». C’est une tradition équestre pratiquée essentiellement au Maroc, qui consiste en la simulation d’assauts militaires. Cet art est notamment appelé « Tbourida », mot qui peut être traduit par « jeu de la poudre », de « baroud (poudre). Pratique très ancienne au Maroc, elle prend le plus souvent la forme d’évolutions équestres au cours desquelles des cavaliers, munis de fusils à poudre noire et chevauchant des montures richement harnachées, simulent une charge de cavalerie dont l’apothéose est le tir coordonné d’une salve de leurs armes à feu. Le retour de Benji à la maison était impatiemment attendu par ses trois fils (le Ztawri, le Buveur d’athaye et le Bon) et sa nièce Claire. Il ne revenait jamais à la maison sans prévoir « 7aja min sou9 », une chose du souk, généralement des fruits secs.

En cette année 1924, il est revenu bien soucieux. Ce regroupement des seigneurs et des autorités chérifiennes pendant la visite du Sultan à Khouribga lui avait permis de glaner quelques « breaking news ». A cette époque, les informations s’échangeaient à la vitesse du pas de cheval. Benji a ainsi appris l’abolition de l’institution califale en Turquie et l’interdiction d’écrire le Turc avec l’écriture arabe.

Du jour au lendemain, Mostafa Kamal a demandé aux Turcs de se mettre à écrire avec des caractères latins. C’est ainsi que Mohamed deviendra Memet en perdant son H, car dans sa précipitation, Mostafa Kamal avait juste oublié que tous les « sons » arabes n’avaient pas leur équivalent dans la délicate oreille latine ! Le H «ح» de MoHamed, ce H « ح » guttural qui vous accroche la gorge « kif sannara » (comme l’Hameçon en arabe), quand il accroche le poisson, sannara qui a probablement inspiré l’écriture du « H, ح » arabe ! (A suivre)

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