L’intervention du Wali de Bank Al Maghrib devant la commission des Finances de la Chambre des Représentants le 24 novembre dernier n’est pas passée inaperçue. Et pour cause. D’abord par la qualité de l’intervenant qui n’est autre que Abdellatif Jouahri : celui qui a accumulé une expérience richissime dans le monde de la finance et de la banque et assumé des responsabilités de haut niveau dans l’administration en particulier comme Ministre des finances pendant une dizaine d’années et dans une période difficile, une carrière couronnée par sa nomination à la tête de la Banque Centrale en 2003. Ensuite par le contexte de crise que le monde traverse qui est nécessairement favorable au débat et incitatif à l’écoute, contexte dans lequel les Banques centrales, de par leur statut, ont été appelées à jouer un rôle de premier plan. Toutes les conditions sont donc réunies pour l’intervenant afin de capter son auditoire et susciter sinon l’adhésion à ses propos, du moins la reconnaissance de leur pertinence.
Dans son exposé écrit, préparé avec soin et méthode, le Wali de Bank Al Maghrib a abordé essentiellement l’impact de la crise sanitaire sur l’économie marocaine après avoir rappelé les contextes international et national et les réponses des autorités marocaines et de la Banque Centrale à la crise. Ainsi, a-t-il rappelé toutes les mesures prises à la fois par l’exécutif et par Bank Al Maghreb depuis l’apparition de la covid-19 en mars dernier. L’impact de la crise est désormais connu même s’il reste évolutif en fonction d’un certain nombre de paramètres qui évoluent dans l’incertitude tels que le traitement de la crise sanitaire, la reprise hypothétique de l’économie mondiale et de l’économie nationale. Grosso modo, cet impact négatif réside dans une forte contraction de l’économie, une perte significative d’emplois et une détérioration des équilibres macroéconomiques.
Ainsi, la croissance économique connaitrait un ralentissement de 6,3% en 2020 avant de rebondir à 4,7% en 2021 ; l’inflation resterait faible, devant se situer en deçà de 1% en 2020 et 2021 ; le chômage a connu, selon les données du HCP, une hausse de 3,3 points pour s’établir à 12,7% au niveau national aux termes du troisième trimestre indiquent, en glissement annuel, une perte de 581000 emploi. Ce taux est passé de 12,7% à 16,5% dans les villes et de 40% à 46,7% pour les jeunes citadins de 15 à 24 ans ; le déficit du compte courant se creuserait de 4,1% du PIB en 2019 à 6% en 2020, avant de reculer à5,2% en 2021 ; les AOR (avoirs officiels de réserve) assureraient la couverture de près de 7 mois d’importations de biens et services jusqu’à fin2021; le déficit budgétaire, hors privatisation, devrait, selon BAM, s’aggraver de 4,1% du PIB en 2019 à 7,9% cette année, avant de commencer à s’améliorer en 2021 pour se stabiliser à 6,5% du PIB, selon le projet de la loi de finances ; l’endettement du Trésor devrait augmenter de 65% du PIB en 2019 à 76,1% avant de s’alléger légèrement à 75,9% en 2021.
Gouvernance
Ces prévisions macro-économiques, est-il précisé, feront l’objet d’une actualisation à l’occasion de la prochaine réunion du Conseil de la Banque prévue le 15 décembre prochain. En conclusion de son intervention, l’invité de la Commission parlementaire des finances a prospecté l’avenir en proposant un certain nombre de mesures et de réformes structurelles qui seraient de nature à dépasser la crise multiforme actuelle et permettre au pays de résoudre ses différentes vulnérabilités et d’assurer sa résilience face aux futurs chocs éventuels. Il s’agira notamment :
-de la valorisation du capital humain à travers l’investissement dans les systèmes d’éducation et de santé, l’élargissement de la protection sociale et le renforcement des filets sociaux ;
– de l’amélioration de la compétitivité des entreprises marocains face à une concurrence de plus en plus agressive de manière à accélérer la croissance tout en renforçant son caractère inclusif, en luttant contre les inégalités territoriales et sociales, y compris de genre, et en offrant plus d’opportunités d’emploi à notre jeunesse ;
-du rehaussement du niveau de la gouvernance, notamment par davantage d’efficacité dans la fonction publique, la généralisation de la pratique de reddition de compte, la lutte contre la corruption et le renforcement de l’impartialité et l’efficience du système judiciaire au service des intérêts du citoyen et pour l’amélioration du climat des affaires ;
-du rétablissement des équilibres macroéconomiques et leur préservation, nécessaires pour assurer la soutenabilité de la croissance, ce qui implique une rationalisation et une priorisation des dépenses ainsi qu’une optimisation des recettes ;
-du renforcement de la résilience au changement climatique dont les conséquences sont déjà manifestes au niveau mondial et national ; et
-de l’exploitation des opportunités qu’offrent la révolution numérique à travers l’élaboration d’une stratégie digitale globale, qui permet également de faire face aux défis qu’elle pose comme celui de la cybersécurité. (cf. intervention au parlement)
On le voit, cet ensemble de mesures en 6 points touche à tout. On y trouve du social, de l’économique, de l’environnemental et du politique. Ce qui est frappant, par contre, c’est le style dont ces idées ont été annoncées par l’orateur. Exposées avec véhémence et fougue propres à l’Homme dans un langage populaire, pour ne pas dire populiste, ces mesures ont été reproduites dans une vidéo de six minutes qui a fait le buzz sur les réseaux sociaux.
Force est de relever, toutefois, que le contenu de cette vidéo est en déphasage par rapport au texte écrit qui est pondéré et mesuré nonobstant sa tonalité critique. Le citoyen non averti n’en retient, en définitive, que ces passages incendiaires sur les maux de la corruption, de la fraude fiscale et de la défaillance du politique. Tout ça pour ça serions-nous tenté de dire. C’est bien dommage !