Le «fquih» et le «Mo3allim»

Lhaj Miloud est féru de débats en tous genres… Des débats passionnés et passionnants dont il ne se lasse pas et où il redécouvre chaque jour la complexité du monde et de la société… Débats, faut-il le préciser, qui ne se déroulent pas ici mais ailleurs ! Ainsi, sur les plateaux de télévisions occidentales, on peut voir des experts échanger sur des thèmes qu’ils maîtrisent parfaitement, chacun selon sa spécialité… Des années d’études, de travail et de recherche leur ont été nécessaires pour acquérir une notoriété et des compétences reconnues… Sans cesse bousculées, au demeurant, par les avancées technologiques et sociétales… Impliquant questionnements permanents, doutes et remises en cause teintées d’humilité et de bon sens… Même si, il est vrai, beaucoup de bavards se sont spécialisés dernièrement en virologie et en épidémiologie, Covid-19 oblige ! Et que certains spécialistes mondialement connus et respectés se sont vus bousculer sur les plateaux par des énergumènes en quête de « buzz » ! Mais tout est relatif et la raison finit toujours par l’emporter, les populations étant instruites et averties…

Dans les pays musulmans, il n’en est rien… Un religieux à la barbe bien fournie peut disserter avec suffisance et véhémence, des heures durant, sur les sujets les plus divers… Sans risque d’être contredit… Laquelle compétence se mesure, semble-t-il, plus à l’abondance de sa pilosité et à la virulence de ses propos qu’à leur teneur et à leur bien-fondé… Quand teneur, il y a ! Économie, médecine, sociologie, biologie et même religion… Tout y passe ! Et pourtant, il fut un temps où le monde arabo-musulman était pionnier dans les sciences et la philosophie…  Au Moyen Âge, les Européens vivaient encore dans l’obscurantisme et le fanatisme régnait en maître… Les autres religions étaient traquées et de prétendues sorcières immolées sur les bûchers… Ce sont les Musulmans qui ont fait redécouvrir à l’Occident la culture grecque en traduisant les œuvres d’érudits helléniques tombés dans l’oubli, permettant l’avènement de la Renaissance européenne… Cordoue, Fès et Bagdad rayonnaient sur le monde !

Des siècles durant, les religieux ont fait la loi en Occident… Mais des esprits critiques ont fini par faire entendre leur voix… Dès le 18ème siècle, des philosophes et des intellectuels se sont engagés dans un combat inégal contre des religieux bornés et arc-boutés sur leurs privilèges… Quant au 19ème siècle, il a connu un antagonisme implacable entre le curé et l’instituteur… Le clergé s’est dépensé sans compter pour le maintien du statu quo et pour que l’enseignement religieux demeure à la base du système éducatif… Et en latin, si possible ! L’usage d’une langue ancienne et hors de portée des masses achevait de tétaniser des peuples majoritairement analphabètes… Travail, famille, église et patrie étaient les maîtres-mots… Pour le plus grand bien de la classe dominante et du système économique, social et sociétal en vigueur… Mais les curés, en charge de l’embrigadement religieux des masses, vont enfin trouver à qui parler… Les instituteurs ! Jeunes, instruits et progressistes, ils vont être à la pointe du combat pour la désintoxication intellectuelle des masses…

La généralisation d’un enseignement obligatoire, et surtout laïc, allait sonner le glas de la toute-puissance de l’église ! Les maîtres d’école allaient mener une lutte sans merci contre le clergé et ses discours soporifiques… Lequel allait combattre pied à pied, en s’alliant aux régimes féodaux et autoritaires contre des populations de moins en moins crédules et de moins en moins dociles… Ce n’est pas par hasard si les hommes d’église, alliés des troupes fascistes, ont été la cible de prédilection des Rojos (les républicains) lors de la guerre civile espagnole… Le rôle des instituteurs, issus des classes défavorisées, et assoiffés de justice sociale et de liberté, allait donc s’avérer crucial pour faire basculer les sociétés occidentales dans le modernisme et la démocratie et libérer les peuples de leurs chaînes… Des chaînes invisibles, qui bloquaient les esprits, prohibaient toute critique ou remise en cause de l’ordre établi et permettaient la perpétuation d’un système inique…Ce fut la chance des sociétés occidentales… S’ensuivra la séparation de l’église et de l’État dans la plupart des pays européens…

Chez nous, avec un siècle de retard, on aurait pu assister à un processus similaire… Sauf que, hélas, notre «Mo3allim» n’a rien d’un laïc ou d’un progressiste… Il est lui-même victime d’un enseignement archaïque et poussiéreux dont il n’arrive pas à se détacher… Les instituteurs ont été les héros de l’émancipation des peuples européens, en leur permettant de sortir définitivement de la religiosité omniprésente pour s’ouvrir à la modernité laïque et tolérante… Nos instituteurs sont les élèves dociles et les alliés objectifs de «fquihs» rétrogrades, à la pensée et au discours moyenâgeux…

Pour notre plus grand malheur ! Il faudrait une véritable révolution culturelle dans les pays musulmans, à l’instar de celle qu’a connue l’Occident au 19ème siècle… Certes, l’école y est obligatoire depuis des décennies… Mais une école où l’enseignement religieux est inculqué dès le primaire et qui déforme à jamais de jeunes esprits malléables… Et tant qu’on n’aura pas pris le taureau par les cornes en décrétant la séparation de l’État et de la mosquée, Lhaj Miloud craint fort que nos «fquihs» à la barbe teintée ne puissent encore tenir pour longtemps encore le haut du pavé sur nos plateaux de télévision complaisants. ‭

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