Lhaj Miloud s’est enfin décidé à renouveler sa carte d’identité nationale… Il serait temps, voilà déjà six mois qu’elle est expirée ! S’il ne l’a pas fait plus tôt, c’est qu’il est «en froid» avec l’administration, vis-à-vis de laquelle il éprouve une véritable phobie! Et perdre son temps dans des files d’attente interminables pour renouveler un document administratif a toujours été sa hantise… Même si, du temps, il n’en manque pas depuis qu’il jouit d’une retraite qu’il estime bien méritée… Mais retraite ou pas, pour lui, c’est une question de principe ! D’autant plus que, la plupart du temps, il doit s’y prendre à deux fois pour la moindre démarche administrative, puisqu’il lui manque toujours une pièce « indispensable » dans son dossier… Sans parler de cette manie des agents d’exiger plusieurs exemplaires originaux d’une attestation quelconque, comme si une simple copie ne pouvait pas faire l’affaire !
Et puis, avec cette pandémie de covid-19 qui ne finit pas d’en finir, Lhaj Miloud avait trouvé un prétexte en béton pour reporter chaque jour au lendemain les formalités de renouvellement… Jusqu’au jour où on exigea de lui, à l’occasion d’une demande de crédit bancaire, la production d’une carte nationale valide, ou à défaut le récépissé du dépôt du dossier de renouvellement… Plus moyen donc de reculer ! Lhaj se devait de prendre son courage à deux mains et d’affronter l’Hydre bureaucratique s’il voulait que le crédit lui soit viré à son compte rapidement… D’autant plus qu’il avait suffisamment galéré pour l’obtenir, et à des conditions pas vraiment avantageuses… Mais ça, c’est une autre histoire !
Lhaj Miloud se jeta donc à l’eau, et se présenta, dès le lendemain de bonne heure, auprès du commissariat de son quartier… Il eut affaire à un agent affable et courtois qui lui indiqua les documents à produire pour obtenir le certificat de résidence, étape incontournable dans le processus de renouvellement de sa carte… Et qui, magnanime, n’exigea même pas au préalable le certificat de résidence délivré par son moquaddem, estimant qu’un reçu de la Lydec en son nom ferait largement l’affaire… On avance, on avance ! Certificat de résidence qu’il obtint dans les 24 heures, et qui lui fut remis avec un sourire en prime, ce à quoi Lhaj Miloud n’était guère habitué de la part de nos fonctionnaires, surtout ceux relevant du ministère de l’Intérieur… Un sourire au demeurant plus large que celui de son banquier, il y a lieu de le signaler !
L’enthousiasme de Lhaj Miloud allait cependant être rapidement douché par une affirmation péremptoire de son ami Lhaj Omar, selon qui le dépôt de sa demande était conditionné par une prise de rendez-vous par internet, et qu’il fallait compter près de deux mois pour obtenir ce précieux rendez-vous… En bon Marocain qui compte cependant toujours sur une bonne dose de baraka, Lhaj Miloud se présenta malgré tout, le jour même, au commissariat central avec son dossier complet, à savoir le certificat de résidence, deux photos récentes, ainsi que deux enveloppes dont une grande et une petite… Sans oublier la somme de 75 DH, nécessaire sans doute pour «les frais de dossier »… Comme à la banque ! Mais moins cher, soit dit en passant, pour une carte électronique d’une durée de vie de dix ans ! Pour le même prix, sa « très chère » banque lui facture annuellement les frais de renouvellement de sa carte de crédit ! Concernant l’histoire des deux enveloppes, elle restera à jamais un mystère insoluble pour Lhaj Miloud… Lequel estime, en personne de bon sens, qu’on aurait pu arrondir à 80 DH, et se passer de ces fameuses enveloppes ? Mais bon, après tout l’administration a ses raisons que la raison ignore !
Lhaj Miloud prit un ton assuré pour expliquer au policier en faction devant l’entrée du commissariat qu’il venait pour le renouvellement de sa carte. Il s’attendait à être éconduit sans trop de ménagement pour défaut de prise de rendez-vous, mais, curieusement, le policier le laissa entrer en lui montrant poliment le bureau concerné! Un peu trop beau pour être vrai… Il serait sûrement refoulé au « deuxième barrage » ! Mais non, il fut pris en charge par un autre fonctionnaire de police qui récupéra son enveloppe, s’assura qu’elle contenait les documents nécessaires, et lui demanda de prendre ses aises (« Khoud ra7ttek »), en attendant son tour… Divine surprise donc ! Mais Lhaj Miloud, méfiant jusqu’au bout, restait sur ses gardes… On ne la lui fait pas, il y avait sûrement un os quelque part !
Lhaj était d’autant moins rassuré qu’une pancarte affichait bien en évidence, « Dépôt du dossier CIN sur prise de rendez-vous par internet » ! Et voilà, l’arbitre allait donc incessamment siffler la fin de la partie, et il ne lui resterait plus qu’à quitter les lieux, la queue basse! Un petit quart d’heure plus tard, il entendit appeler son nom, et se présenta avec appréhension au guichet, quasiment certain de se faire tirer les oreilles… L’agent lui demanda de baisser son masque anti-covidien, compara d’un œil expert son visage avec les photos fournies pendant quelques interminables secondes, et lui demanda les 75 DH de « frais de renouvellement »… Lhaj lui tendit un billet de 100 DH en regrettant de ne pas avoir fait l’appoint, vu que ce n’était surtout pas le moment de faire de la provocation ! Il s’attendait à une remarque désagréable bien méritée, mais le fonctionnaire lui rendit sa monnaie sans broncher, et l’orienta vers la salle de prise des empreintes digitales !
Lhaj était sur un nuage ! Cinq minutes plus tard, il sortait de « l’antre du loup », comme il se plaisait à qualifier le commissariat central, après s’être fait prendre les empreintes par une charmante dame, et par procédé électronique, s’il vous plait ! Laquelle dame lui délivra enfin le précieux sésame, à savoir l’attestation de dépôt de sa demande de renouvellement, en lui indiquant qu’il pouvait venir récupérer sa carte dans une semaine exactement ! Tout s’était donc passé sans accroc, en dépit de son absence de rendez-vous, sans qu’il ait eu à subir le moindre désagrément, et sans même qu’on lui ait reproché le retard de plusieurs mois qu’il accusait dans le renouvellement de sa CIN… Alors, une fois n’est pas coutume, Lhaj Miloud, qui est toujours prompt à critiquer notre administration, et à râler pour un oui, pour un non, voudrait rendre un hommage appuyé à nos fonctionnaires de police pour leur sens de l’organisation, leur efficacité, et last but not least, leur remarquable courtoisie ! Notre police a bel et bien réussi sa mue dans le bon sens. Chapeau bas, mesdames et messieurs, vous êtes un exemple à suivre pour bien des administrations du privé !
P.S. : Pour le retrait de sa carte, Lhaj Miloud, qui a décidément du mal à se faire au changement, ne se présenta au commissariat central que deux semaines plus tard, pour éviter un déplacement « inutile »… On n’est jamais trop prudent ! Il se fit délivrer enfin sa nouvelle carte, avec un code confidentiel sécurisé, et une validité de dix ans… A renouveler donc en avril 2031, si le bon Dieu lui prête vie jusque-là !