Comme on le lui a recommandé, Lhaj Miloud a envoyé par SMS, dès début février, son numéro de carte nationale d’identité au 1717… Le but étant de s’informer sur la date de sa vaccination contre la covid19… On lui répondit poliment et instantanément, par retour de message, que « son heure » n’était pas encore venue, et qu’il devait donc encore prendre son mal en patience… Pas de souci… Lhaj Miloud comprend parfaitement que les premières opérations de vaccination soient réservées aux populations engagées dans la lutte contre la pandémie…
Et que son tour, en tant que personne âgée, viendrait un peu plus tard… Encore que Lhaj Miloud, la soixantaine rayonnante, ne s’était jamais senti aussi jeune ! D’ailleurs, s’il n’en tenait qu’à lui, Lhaj Miloud aurait établi un système de priorisation radicalement différent… Un système basé sur l’utilité des populations concernées et leur valeur ajoutée pour la collectivité ! Il n’a rien contre les octogénaires, d’autant plus qu’il espère bien en faire partie un jour, si le bon Dieu lui prête longue vie, mais avouez que le retour sur investissement pour cette catégorie est loin d’être garanti… C’est comme les opérations de lutte contre l’analphabétisme, destinées aux plus de soixante ans… Le temps de maîtriser les fondamentaux de la lecture et de l’écriture, et d’apprendre la règle de trois, et il est temps de faire ses adieux à ce bas monde ! Si ce n’est pas de la dilapidation de deniers publics, ça y ressemble fort, non ? Comment, vous trouvez que Lhaj Miloud y va un peu fort ? Du tout. C’est tout simplement une personne rationnelle, qui ne fait pas dans le misérabilisme, et qui est un fervent partisan d’une allocation optimale des ressources, en économiste avisé qu’il fût !
Bref, Lhaj Miloud, après cette première tentative infructueuse de prise de rendez-vous, remet ça une semaine plus tard… Tentative couronnée de succès cette fois-ci puisqu’il reçoit un message positif, lui précisant que sa date de vaccination est prévue pour le 27 mars, et qu’elle se déroulerait au dispensaire Ibnou Zouhair, sis quartier Riviera… Petite précision, le SMS en question était signé « Redouane, le moquaddem »… Comme quoi la haute technologie et l’administration makhzénienne font bon ménage ! Vous avez dit modernité et authenticité ?
Précautionneux comme vous le connaissez, Lhaj Miloud s’en alla, la veille de la date fixée, pour une visite de reconnaissance… Le dispensaire en question se situait dans un quartier chic, dans les murs d’une ancienne villa aménagée en centre de soins. Des gens attendaient leur tour dans le jardin du dispensaire. Une dame récupérait les cartes d’identité. Lhaj lui demanda à quelle heure il devait se présenter, le SMS reçu ne précisant pas de plage horaire. Elle lui répondit avec un grand sourire que le mieux serait de se présenter le plus tôt possible, à partir de 8 heures… Dont acte ! Le jour J, Lhaj Miloud quitte sa maison à 8 h10 et se dirige vers le lieu indiqué d’un pas rapide. Le dispensaire se trouve à environ 20 minutes de marche… Il achète une bouteille d’eau minérale en route… Ne comptez pas sur lui pour dire qu’il s’agit d’une Sidi Ali… Pas de pub intempestive ! À 8 h 35, il est sur place, légèrement essoufflé… Il y a déjà une vingtaine de personnes installées sur les chaises mises à leur disposition. Il se laisse choir à son tour sur une des dernières chaises inoccupées. Cinq minutes après, une jeune personne « en civil » puisque ne portant pas de blouse, vient récupérer sa carte nationale et celles des nouveaux arrivants. Laquelle carte était périmée depuis deux mois… Lhaj culpabilise à fond… L’ambiance est au beau fixe… Les candidats à la piqûre échangent entre eux à mi-voix… On leur retourne leurs pièces d’identité dix minutes plus tard… Lhaj Miloud range la sienne en se promettant de la renouveler au plus vite ! Promis, juré ! Deux infirmières chargées de l’accueil commencent à prendre en charge les patients…
Moins d’une demi-heure plus tard, son tour arrive… Il présente à nouveau sa carte nationale « périmée » ! On lui pose quelques questions sur son état de santé, et on lui demande s’il suivait un traitement médical particulier… Lhaj leur jure, les yeux dans les yeux, qu’en dehors d’un Doliprane effervescent auto-administré, il y a plus d’un mois, il n’avait pris aucun médicament depuis des lustres… Elles le déclarent solennellement « bon pour le service »… Pardon pour le vaccin ! Et lui affectent un numéro… Le onze, couleur verte… Oui, parce qu’il y a aussi la couleur rouge… Le vert pour les rajaouis et le rouge pour les wydadis? Raté ! Non, il y avait deux salles de vaccination, tout simplement… Et tant qu’à les différencier par des couleurs, pourquoi pas celles du drapeau national ?
Le tour de Lhaj Miloud arrive rapidement… On le fait entrer dans une salle où officient deux autres infirmières et un médecin femme… Un grand hommage à toutes ces dames… Propreté, gentillesse et efficacité sont au rendez-vous ! L’une des infirmières lui pose à nouveau des questions sur son état de santé… Deux précautions valent mieux qu’une… Ou bien alors, Lhaj Miloud ne devait pas respirer la grande forme ! Lhaj Miloud les rassure à nouveau ! La deuxième infirmière prépare la seringue… Le vaccin lui est administré prestement… Il n’a même pas senti l’aiguille ! On lui fixe rendez-vous pour la seconde injection, dans un mois jour pour jour… Puis on le dirige vers une salle d’observation, où il est invité à attendre cinq minutes avant de partir, histoire de s’assurer qu’il n’y avait pas d’effets secondaires… En tout cas, pas dans l’immédiat ! Un jeune homme en civil, le seul mâle dans ce dispositif entièrement féminin, lui recommande, si jamais il ressentait un peu de fièvre le soir, de prendre un Doliprane… L’incontournable Doliprane… Mais on a dit « pas de pub » ! Les cinq minutes d’observation étant largement écoulées, Lhaj Miloud est relâché dans la nature à 9 heures 50 très exactement… Ah, il a oublié de demander à ces dames quel vaccin exactement on lui avait administré… Il faut dire que Lhaj, comme la plupart de ses concitoyens, a une confiance assez limitée dans tout ce qui est « made in China »… Rendez-vous donc pour le 27 mars pour « le vaccin, saison 2 », qu’il soit chinois ou indien! AstraZeneca ou AstraManta. Les dés sont jetés !