Victor Hugo (1802-1885) fut l’opposant le plus célèbre à Napoléon III, le neveu de Napoléon Bonaparte. Cet empereur accède au pouvoir par un coup d’Etat le 8 décembre 1851. Victor Hugo, qui avait été député sous la IIème République, s’empresse de dénoncer le nouvel empereur comme un criminel : « Napoléon le Petit ! Sa grandeur éblouit l’histoire. Quinze ans il fut le dieu qui traînait la victoire sur un affût ; l’Europe sous sa loi guerrière se débattit. Toi, son singe, marche derrière ! Petit, petit. Napoléon dans la bataille, grave et serein guidait à travers la mitraille l’aigle d’airain. Il entra sur le pont d’Arcole, il en sortit. Voici de l’or, viens, pille et vole. Petit, petit. Berlin, Vienne étaient ses maîtresses ; il les forçait, leste et prenant les forteresses par le corset. Il triomphe de cent bastilles qu’il investit. Voici pour toi, voici des filles. Petit, petit. Il passait les monts et les plaines ; tenant en main la palme, les poudres et les rênes du genre humain ; il était ivre de sa gloire qui retentit. Voici du sang, accours, viens boire, petit, petit. Quand il tombe, lâchant le monde, l’immense mer ouvrit à sa chute profonde le gouffre amer ; il y plonge, sinistre archange et s’engloutit. Toi, tu te noieras dans la fange ! Petit, petit.».
Le 31 juillet 1853, Victor Hugo publia cet autre poème contre l’empereur : «Donc c’est fait. Dût rugir de honte le canon. Te voilà, nain immonde, accroupi sur ce nom ! Cette gloire est ton trou, ta bauge, ta demeure ! Toi qui n’as jamais pris la fortune qu’à l’heure, te voilà presque assis sur ce hautain sommet ! Sur le chapeau d’Essling tu plantes ton plumet. Tu mets, petit Poucet, ces bottes de sept lieues. Tu prends Napoléon dans les régions bleues. Tu fais travailler l’oncle, et, perroquet ravi, grimper à ton perchoir l’aigle de Mondovi ! Thersite est le neveu d’Achille Péliade ! C’est pour toi qu’on a fait toute cette Iliade ! C’est pour toi qu’on livra ces combats inouïs ! C’est pour toi que Murat, aux russes éblouis, terrible, apparaissait, cravachant leur armée ! C’est pour toi qu’à travers la flamme et la fumée, les grenadiers pensifs s’avançaient à pas lents ! C’est pour toi que mon père et mes oncles vaillants ont répandu leur sang dans ces guerres épiques ! Pour toi qu’ont fourmillé les sabres et les piques.
Que tout le continent trembla sous Attila et que Londres frémit ! Et que Moscou brûla ! C’est pour toi, pour tes Deutz et pour tes Mascarilles ! Pour que tu puisses boire avec de belles filles ! Et, la nuit, t’attabler dans le Louvre à l’écart. C’est pour monsieur Fialin et pour monsieur Mocquart que Lannes d’un boulet eut la cuisse coupée ! Que le front des soldats, entrouvert par l’épée, saigna sous le shako, le casque et le colback. Que Lasalle à Wagram, Duroc à Reichenbach expirèrent frappés au milieu de leur route ! Que Caulaincourt tomba dans la grande redoute ! Et que la vieille garde est morte à Waterloo ! C’est pour toi qu’agitant le pin et le bouleau, le vent fait aujourd’hui, sous ses âpres haleines, blanchir tant d’ossements. Hélas ! Dans tant de plaines, faquin, tu t’es soudé, chargé d’un vil butin ! Toi, l’homme du hasard, à l’homme du destin ! Tu fourres, impudent, ton front dans ses couronnes ! Nous entendons claquer dans tes mains fanfaronnes, ce fouet prodigieux qui conduisait les rois ! Et tranquille, attelant à ton numéro trois Austerlitz, Marengo, Rivoli, Saint-Jean-d’Acre ! Aux chevaux du soleil tu fais traîner ton fiacre ! (À suivre)