Qu’est-ce qui peut bien rassembler un Tunisien et un Malgache ? Un Congolais et un Cambodgien ? Mieux encore, un Algérien et un Marocain, les irréconciliables frères ennemis ? La francophonie, bien sûr ! La francophonie, c’est « 300 millions de personnes à travers le monde, 88 pays adhérents, 132 millions d’apprenants et la quatrième langue la plus utilisée sur Internet ». Si vous contestez ces chiffres, Lhaj Miloud vous conseille de vous tourner vers l’Organisation internationale de la francophonie, OIF pour les intimes, qui les revendique sur son site officiel…
A supposer qu’ils soient quelque peu gonflés pour les besoins de la cause, ils n’en restent pas moins impressionnants, on est d’accord ? Le Maroc, à l’instar de ses voisins maghrébins, l’Algérie et de la Tunisie, fait donc partie de ce vaste espace linguistique et culturel… Mais de moins en moins, semble-t-il ! Parce que le grand bateau de la francophonie prend l’eau de toute part ! Il est loin le temps des grands écrivains d’expression française d’origine maghrébine qui maniaient la langue de Molière avec plus de dextérité et de raffinement que bien des grandes plumes de l’Hexagone… Aujourd’hui, les Marocains semblent définitivement fâchés avec la langue de l’ancienne puissance coloniale, en dépit de la profondeur des liens qui les unissent, de l’importance des communautés respectives installées des deux côtés de la Méditerranée et du nombre croissant des couples mixtes et des personnes détentrices de la double nationalité…
Oui, les Marocains sont en froid avec la langue française et ils tiennent à le démontrer à la face du monde en torturant la prose comme ce n’est pas permis… Je ne sais pas si vous vous êtes amusés un jour à relever les fautes de français sur des affiches publicitaires ou les enseignes des magasins… Je ne parle pas seulement des petits commerçants et artisans qui peignent, en lettres hésitantes, le nom de leur profession sur leur devanture, «Coifeure », micanique Ginirale »… Plus affligeants encore, les menus de certains restaurants, et pas seulement ceux dits populaires, où « pattes à la boloniaise» côtoient sans vergogne du « poison frais » et autres « déserts à la craime »… Lhaj Miloud n’invente rien : il a lu, de ses yeux, de telles horreurspleinement assumées, au vu et au su de tous… Sans que personne ne réagisse, ni les passants, ni les autorités ! Pauvre Molière, il doit s’en retourner dans sa tombe ! Comment, cela ne regarde personne et ce n’est pas bien grave ? Lhaj Miloud s’insurge contre une attitude aussi défaitiste ! Bien au contraire, la situation nous interpelle tous, autant que nous sommes ! Il y va de notre réputation, en notre qualité de membres de la grande communauté francophone…
D’aucuns considèrent que notre langue nationale, à défaut d’être tout à fait maternelle, est l’arabe, la seule à l’égard de laquelle nous serions tenus d’avoir des égards… La seule qu’il est interdit d’écorcher, parce qu’étant la langue du Livre Saint… Quant aux langues mécréantes, elles ne mériteraient aucun respect… «Nous devons être fiers de la langue arabe et de notre identité arabo-musulmane », avait rétorqué à Lhaj Miloud un ami qui, pour le coup, avait ainsi exclu de la communauté nationale nos concitoyens berbères, juifs et d’origine subsaharienne !
Hors sujet, avait rétorqué Lhaj Miloud à son fier interlocuteur qui en a profité, bien sûr, pour en rajouter une couche ! Il y a quand même d’autres manières de démontrer sa fierté au monde que de rédiger des affiches avec deux fautes d’orthographe par ligne ? Ou bien alors, on va cuver sa fierté ailleurs ! Notre regrettée institutrice nous aurait mis au piquet pour moins que ça ! Ayons du respect donc pour les langues, que ce soit le français, l’arabe ou le mandarin… Sauf que, dans ce dernier cas, il nous aurait été plus difficile de relever les coquilles, Lhaj Miloud l’admet de bon gré ! Ah, décidément le nif maghrébin n’a peur de rien ! Parce que la véritable fierté devrait plutôt consister en la maîtrise des langues étrangères, quelles qu’elles soient… Et certains ont encore bien du mal avec cette langue qui continue à les déranger au plus haut point… Tellement qu’ils en ont fait un sujet de discorde national alors qu’il faut simplement la voir comme un butin de guerre, comme l’écrivait si justement Kateb Yassine… Ou alors, on rend le butin et on se met à l’anglais !
Then, let’s learn english ! Et pourquoi pas? La langue de Shakespeare est de plus en plus en vogue… Pour des raisons politiques, culturelles, géostratégiques, technologiques et commerciales… Pour s’ouvrir davantage au monde, beaucoup de pays de la francophonie sont en train d’envisager sérieusement leur conversion… Le Rwanda, par exemple, qui, par ailleurs, a quelques solides raisons d’en vouloir à la France, a résolument franchi le pas, il y a déjà quelques années, et revendique depuis un taux de croissance inédit, apportant de l’eau au moulin des détracteurs du français, désormais jeté aux oubliettes et définitivement considéré comme « has been»! Londres vaut bien une messe après tout ? Pourquoi pas ? Il n’y a aucun sentimentalisme à avoir en la matière, pragmatisme et efficience devant demeurer les maîtres mots en la matière… Gardons les dialectes pour la maison, l’arabe pour la religion, l’anglais pour le business et le français…pour la drague ! Mais un français châtié et élégant, comme il sied à des hommes galants… Ça tombe bien, car, selon un sondage récent, la langue de Molière se placerait en tête du classement des accents les plus « sexy» ! Accent de la mission, je présume, pas celui infligé par notre enseignement public, certes, mais quand même ! Par ailleurs, elle est aussi perçue par la majorité des personnes interrogées comme la langue de l’amour par excellence… Alors, chers concitoyens, voilà des arguments qui ne manqueront pas d’ébranler vos nouvelles ardeurs anglo-saxonnes, isn’t it ? D’ailleurs, s’il s’agit simplement d’opter pour la langue de l’empire dominant, il vaut mieux se hâter lentement… Parce que dans quelques années, il vous faudra sans doute opter pour le chinois !