Quand une pensée devient fragmentaire, elle se dessaisit de toute logique nécessaire à son maintien. Voyez-vous, la pensée c’est comme un moteur; plus vous le sollicitez, plus il en veut. Et si vous l’arrêtez pour de bon, il peut faire des ratés et s’encrasser. Enseignants-chercheurs … de quoi ?? Votre employeur vous colle une étiquette et exige de vous le beurre et l’argent du beurre. Il n’y a pas de quoi être fier. Face à un pêle-mêle de sujets bateaux, il suffit de se servir et de disserter sans se soucier de ce qui a été dit ou ce qui sera dit. C’est l’essence même de nos principes : la fragmentation et l’éparpillement. Vous saluerez ce valeureux chevalier, errant et divaguant, toujours prêt à sillonner tous les sentiers battus pour discourir de tout et courir après la crédibilité et la reconnaissance ; un sacré tout-terrain. Du respect pour son excellence le clerc de l’institution. Ancien et immunisé, il fait la part des choses et se veut enseignant tout court … pas besoin de (dis)courir, mais vous, vous pouvez toujours courir !
Quoi que vous (re)cherchiez, il y aura toujours quelqu’un, souvent son excellence, qui a le verbe haut, pour vous traiter de tous les noms – et les adjectifs – juste parce qu’il ne voit les choses que par sa subjectivité et par le trou de la bouteille. Les intellos – des profs à l’origine – sont les seuls à prétendre, à tort ou à droit, à l’élitisme. Quand chaque prétendant institue un événement, visiblement scientifique, il rompt – avec les autres – au lieu de rassembler. L’événement devient celui de X, le savoir devient celui de X, et ainsi tout tourne, en rond, sans s’entrecroiser. Les territoires deviennent circonscrits ; à chacun son « truc ». La recherche devient spécifique et non générique. Elle est l’apanage des petits esprits qui s’affrontent dans la rivalité et l’émulation. Notre structure est tellement bondée de structures qu’elle se déconstruit, brisant ainsi les rapports intimes nécessaires à sa cohésion.
La recherche scientifique est un simulacre fait pour faire de nous des potiches (directeurs de labos), histoire de faire de la figuration – la figuration affectée du devoir – et de la décoration pour la maison mère (université) et ses succursales (facultés). Une fois syndicalisés dans l’urgence et sans trop de conviction (équipes de recherche), les figurants (enseignants) obtiennent leur label (laboratoire) qui sera apposé sur tous les documents et les actions engagées (projets et activités). Nous valons des points ou des chiffres virtuels (budgets) qui sanctionnent nos actes (activités), attribués selon les humeurs d’un gars (expert) qui, paraît-il, en sait un peu plus que nous. Nous sommes réduits à faire la quête sans tendre la main, mais plutôt en baissant les bras. A vrai dire, ce système promeut le clanisme (sans le label, le figurant est hors-jeu) et la grosse tête (à chacun sa recherche), et le bouquet, c’est quand des figurants en mal de rôles cherchent à gratter sur le tas et à tenir le beau rôle en réclamant des avantages (billet, encadrement, indemnités …). Ils sont condamnés à subir les humeurs des potiches ou à faire bande à part. Bref, dans toute cette histoire, qui se ressemble s’assemble.
La recherche est le beau semblant d’un métier désespéré, et le rempart d’une conscience maculée, lesquels, métier et conscience, peinent à pacser. Nous avons souvent le malheur de croire que la recherche ne passe que par l’événementiel, c’est-à-dire l’organisation d’une manifestation d’utilité digestive, et là nous sommes interpellés par un seul truc crucial : la bouffe. Quoi de plus extraordinaire que de s’emplir la panse comme un glouton et faire d’une pierre deux coups, nourrir l’esprit – ce n’est pas toujours réussi – et nourrir l’estomac, là l’objectif est toujours sacrément atteint. La bouffe, c’est ce qui matérialise votre effort et estampe votre activité, et tout autre effort ne vous réhabilite pas autant qu’elle. Vous verrez en cela un rituel que la communauté perpétue dans le respect des valeurs déontologiques et académiques. L’activité scientifique ne vaut que si elle est gastronomisée. Le pire c’est qu’au lieu de faire un appel à communications, on fait plutôt des appels téléphoniques à ses amis, et le comble c’est de promouvoir l’élitisme : Menu à la carte selon la méthode de la glorification et la complaisance, paix garantie. Assoyons le clanisme et repaissons-nous paisiblement dans notre enclos. Budgétisez votre recherche, vous verrez que ça ressemble un peu à une « passe » ; une prestation tarifée et minutée faite pour vous procurer une satisfaction psychosomatique fugace et vous faire oublier les avatars de votre première moitié, enseignant. Entre enseignant et chercheur le concubinage est mal consommé, parce que le cœur n’y est plus et l’un et l’autre n’y vont que d’une fesse.