Anticorps parlementaires…

Les manœuvres dilatoires autour du projet de loi sur la criminalisation de l’enrichissement illicite en disent long sur la volonté politique de moraliser la vie publique. Celle-ci est tout simplement inexistante dès qu’il s’agit d’obliger les élus et les hauts responsables de rendre des comptes devant la justice sur l’origine de leur fortune. D’où le retard pris par l’adoption de ce dispositif qui divise depuis plus d’un an les partis de la majorité.  C’est pas demain la veille. On n’est pas donc près de voir des dépositaires de l’autorité publique comme les ministres répondre y compris pendant l’exercice de leurs fonctions des détournements de fonds et autres actes délictueux en relation avec des biens mal acquis.

Connaître juste les noms des ministres, élus ou hauts fonctionnaires qui ont profité de leur fonction- histoire de pouvoir établir une espèce palmarès de la moralité publique– pour s’enrichir sans cause relève encore de l’utopie. Et Dieu sait qu’il en existe à différents échelles, aussi bien chez les titulaires des mandats électifs que les hauts fonctionnaires. Mission impossible au Maroc dès lors que cet exercice de transparence ne va pas jusqu’au bout faute de rendre obligatoire la publication de la déclaration des patrimoines de ceux qui nous gouvernent. On est loin, très loin dans ce domaine de la France où la haute autorité pour la transparence de la vie publique publie l’état des biens des membres du gouvernement ou de l’Italie dont les ministres et les parlementaires sont tenus de déclarer chaque année leur patrimoine et leurs revenus que tout citoyen peut consulter, pourvu qu’il soit inscrit sur les listes électorales. Tout le contraire du Royaume où la Cour des comptes recueille les déclarations de patrimoines des principaux élus, ministres et hauts fonctionnaires mais qui restent confidentielles et donc inaccessibles au citoyen. Une énième exception marocaine ! Devant ce qui ressemble à une simple formalité administrative qui ne tire pas à conséquence, il est difficile de ne pas croire que la moralisation de la vie publique relève juste de discours incantatoires destinés à la consommation populaire. Jusqu’ici, très rares en effet sont les serviteurs de l’État ou les représentants des citoyens, dont une bonne partie quitte ses responsabilités avec des comptes en banque bien garnis et une longue liste de différents biens alors qu’ils n’ont pas été aussi riches au début de leur carrière, qui ont été interrogés sur l’origine de leur fortune.

Le fait que le corps parlementaire a lâché ses anticorps contre un projet de loi destiné à mettre fin à l’impunité qui entoure l’enrichissement indu et qu’il est censé être le premier défenseur révèle au grand jour que le chemin de moralisation de la vie publique est semé d’embûches…

Afin de vérifier si celle-ci est le fruit de leur travail ou du népotisme, concussion et autre trafic d’influence qui sont monnaie courante dans la pratique politique à la marocaine. D’ailleurs, jamais élu, ministre, modeste ou haut fonctionnaire n’a été inquiété sur ses biens depuis l’entrée en vigueur en 2010 de la déclaration du patrimoine visant à « moraliser la vie publique et de consacrer les principes de responsabilité, de transparence et de protection des deniers publics». Résultat : L’impunité dont bénéficie ceux qui utilisent leur responsabilité publique comme marchepied pour accumuler des richesses monumentales à l’ombre des mandats électifs ou minorent la valeur de leur patrimoine bien ou mal acquis continue à nourrir chez le citoyen lambda le sentiment qu’il s’agit juste d’un texte de plus dans l’arsenal juridique inopérant de la reddition des comptes. Comment dans ces conditions croire que la chasse aux privilèges injustifiés et la répression des transgresseurs procède d’une véritable volonté politique et que le temps de l’impunité est bel et bien révolue alors que la consultation de l’état du patrimoine des gouvernants relève d’un secret très bien gardé? En tout cas, ce n’est pas là le meilleur moyen de rétablir la confiance des Marocains dans la chose politique et réhabiliter dans leurs yeux ceux qui ont pour charge de les servir.  

Dans ce contexte anesthésié, la Cour des comptes, chargée de la réception, suivi et contrôle de ces déclarations, joue juste le rôle de caisse de résonance puisqu’aucune sanction n’a été prise jusqu’à présent contre les auteurs de fausses déclarations ou contre ceux qui ont refusé de se soumettre à la loi en déclarant leurs biens. Sur le registre non moins important du contrôle des deniers publics, les rapports de la Cour se suivent et se ressemblent, donnant très rarement lieu à des procès exemplaires. Il y a effectivement à craindre pour l’avenir de la déclaration de patrimoine : Le patrimoine public, à force d’être soigné, risque d’être épuisé… Une chose est sûre: La bonne gouvernance est en marche depuis longtemps, elle est encore plus exaltante dans les discours.  Le fait que le corps parlementaire a lâché ses anticorps contre un projet de loi destiné à mettre fin à l’impunité qui entoure l’enrichissement indu et qu’il est censé être le premier défenseur de la transparence révèle au grand jour que le chemin de moralisation de la vie publique est semé d’embûches…

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