A contexte exceptionnel, moyens exceptionnels. Ce principe de bonne gouvernance était censé guider l’action du gouvernement Akhannouch pour imposer un frein d’arrêt sérieux à la vie chère et préserver le pouvoir d’achat des couches défavorisées. Ce principe se résume en un seul mot: le contrôle. Celui des marges des importateurs en amont et en aval, de façon à freiner leur rapacité qui met le feu aux prix, notamment des viandes rouges. Le niveau de ces derniers qui reste excessif, nonobstant l’exonération fiscale (droits de douane et TVA) sur ce produit à l’importation, ont de quoi interroger sur la finalité de telles incitations si elles ne contribuent pas à faire baisser les prix. Devant ce renchérissement du coût de la vie au-delà du raisonnable, le chef du gouvernement serait bien inspiré de troquer, le temps du retour d’une accalmie sur les prix, son habit de capitaliste pur et dur contre le costume du dirigiste proche du peuple. Objectif : créer une agence publique dont la mission est de centraliser les achats à l’étranger des viandes rouges et de vendre au consommateur au prix coûtant. C’est plus juste que de faire engraisser, au nom de l’on ne sait quel calcul, une bande d’importateurs transformés en profiteurs de crise et suceurs de sang des consommateurs démunis.
A l’issue du Conseil du gouvernement du jeudi 13 février, le ministre de l’Agriculture Ahmed El Bouari a déclaré que le cheptel a perdu 38% de son effectif par rapport à 2016. Une véritable hémorragie qui en dit long sur l’ampleur de la décapitalisation qui frappe l’élevage national, expliquée bien évidemment par la sécheresse qui a bon dos. Cette annonce officielle rejoint une rumeur médiatique, colportée quelques semaines plutôt, que le stock ovin ne dépasserait pas 1 million de têtes. Dans le sillage de cette rumeur a prospéré une autre rumeur sur une éventuelle annulation de l’aïd cette année. Les observateurs avisés ont décelé dans ces racontars qui ont du vrai une opération orchestrée par le gouvernement pris de panique après avoir appris les chiffres effarants du recensement du cheptel national. Objectif inavoué : provoquer une décision en haut lieu pour décréter l’annulation de la tête du sacrifice pour ne pas aggraver une crise déjà aigue.
L’offre en ovins est largement insuffisante pour que le pays se permette d’observer en 2025 ce rituel facultatif à l’occasion duquel près de 6 millions de moutons sont égorgés. La situation ovine était déjà critique en 2024, rendant objectivement nécessaire l’instauration d’un moratoire sur le sacrifice d’Abraham pour permettre la reconstitution du cheptel et agir sur les prix à la baisse. Comme l’état de l’élevage s’est dégradé davantage en 2025, ce serait une pure folie de maintenir cette célébration qui ne profite in fine qu’au cartel des importateurs par le jeu des subventions… Et ce ne sont pas les 10000 béliers que le gouvernement a décidé d’importer d’Australie qui vont pallier le déficit… Décréter l’annulation de la fête du mouton dans un contexte aussi contraignant et socialement tendu à cause de la vie chère est de nature à libérer sur un plan moral le gros de la population nécessiteuse d’un lourd fardeau. Beaucoup de chefs de familles démunis, qui n’en peuvent plus de sacrifier l’essentiel pour le superflu, attendent en effet la délivrance.
En fait, le déficit abyssal du réseau autoroutier national est au fond un déficit de développement, résultant des disparités régionales qui restent considérables.
Les comptes des Autoroutes du Maroc (ADM) sont dans le rouge, plombés par une dette de 37 milliards de DH ! Une bonne partie des recettes du péage sont réalisées sur l’axe Casablanca-Rabat grâce à la densité du trafic alors que nombre de tronçons autoroutiers sont déficitaires, notamment celui de Casablanca-Fès-Oujda. En fait, le déficit abyssal du réseau autoroutier national est au fond un déficit de développement, résultant des disparités régionales qui restent considérables. Il recoupe parfaitement ce déséquilibre chronique dans le processus de création de richesse que la construction des autoroutes, qui mobilise des fonds publics colossaux, est supposée du moins réduire dans des proportions significatives. Cherchez l’erreur. Elle se trouve dans l’absence de coordination entre les différents acteurs, ministériels et régionaux, pour planifier et accompagner le maillage autoroutier, par l’encouragement de l’investissement productif, dans les zones reliées. En effet, une autoroute n’est pas seulement une voie de circulation rapide pour les véhicules motorisés et de connexion des villes entre elles pour faciliter les déplacements des usagers dans le confort et la sécurité. Elle est surtout un outil d’aménagement et de développement d’un territoire, un levier de son attractivité pour créer de l’emploi et de la richesse. C’est la dynamique économique qui génère le trafic et entraîne son augmentation. Sur ce plan, force est de constater que les décideurs ont été défaillants, incapables de rentabiliser les investissements publics colossaux dans l’infrastructure autoroutière déployés finalement en pure perte. Au lieu que le gouvernement se réunisse pour analyser les raisons objectives du déficit d’ADM et tenter de changer de conduite, le ministre de l’Équipement, Nizar Baraka, a décidé d’aller puiser la solution (de facilité) aux difficultés de l’entreprise dans la poche des usagers… Une fausse route dans ce contexte de vie chère.
Quand il n’est pas dans l’intempestif qui lui joue des tours, Abdellatif Ouahbi dit des choses justes et sensées. Ainsi de son opposition à certaines dispositions du projet de loi sur la procédure pénale en instance de discussion au Parlement. Il s’agit de ces articles qui donnent à la police le droit d’effectuer des rafles dans la rue pour des contrôles d’identité au commissariat ou celui de procéder à des arrestations d’individus pour ivresse publique. Lors d’une journée d’étude organisée jeudi 13 février à Rabat, le ministre de la Justice a exprimé clairement son désaccord, arguant que les interpellations doivent être en substance motivées par des actes entraînant un désordre ou un scandale dans un lieu public ou dans l’espace public.
Pourquoi en effet arrêter de manière arbitraire un citoyen marchant tranquillement dans la rue pour vérifier son identité ou une personne ivre dont le comportement au-dehors n’est pas attentatoire à la tranquillité d’autrui et ne représente aucun trouble à l’ordre public ? Dans la même veine, nous trouvons la criminalisation de la rupture du jeûne en public qui mène en prison en vertu de l’article 22 du code pénal qu’il est grand temps de supprimer ! Que les pouvoirs publics s’érigent sur le Ramadan en police des mœurs ou de conscience cultuelle est pour le moins incongru. Mais pourquoi s’arrêter en si bon chemin et ne pas avoir adopté dans la foulée une disposition de la même eau sanctionnant les passants qui, à l’appel à la prière, ne prennent pas aussitôt le chemin des mosquées pour accomplir le deuxième des cinq piliers de l’islam? Ce « projet de loi de procédure pénale n’a pas été rédigé par le ministère de la Justice, mais plutôt par « l’État » », selon M. Ouahbi, a besoin d’un véritable toilettage pour l’expurger d’une série de dispositions remontant à une période révolue où les droits humains n’étaient pas respectés. Dans son argumentaire, le ministre PAM a mis en avant l’impératif de conciliation entre le droit à la sécurité et les libertés individuelles. La balle est dans le camp des députés.
Par Abdellah Chankou