Faut-il maintenir la fête du sacrifice?

Cette année encore, une catégorie de la population marocaine va manger à l’occasion de la fête du sacrifice 2024  du mouton subventionné importé principalement d’Espagne ! A hauteur de 50 DH par tête, faites le calcul pour 600.000 béliers de race Mérinos très prisés en Espagne surtout par la qualité de sa laine. Pour la deuxième année consécutive, le gouvernement recourt donc  à l’importation pour pallier  la crise de l’élevage national confronté à une série de contraintes notamment la sécheresse et la cherté des aliments pour bétail. Mais le maintien de cette fête, qui plus est à coup de subsides publiques, représente-t-il le meilleur  moyen de renouveler le cheptel national en agissant sur les prix de la viande à la baisse ? Le bon sens gestionnaire et le bon sens tout court ne commanderaient-ils pas plutôt une autre approche qui serait son annulation pure et simple au lieu d’engraisser le lobby des opportunistes de l’importation à grands renforts de subsides étatiques?  
Disons-le tout de go : l’Aïd El Kebir dans un tel contexte de pénurie et de renchérissement perd de sa pertinence  religieuse. Où est en effet l’esprit de fête dans un rituel qui fait saigner  dans des proportions inouïes une bonne partie de la population désargentée ? Qu’est-ce qui justifie que des familles nécessiteuses, qui ont déjà du mal à joindre les deux bouts ou vivant dans la mouise, fassent des sacrifices impossibles pour égorger un mouton devenu hors de prix ? Dépenser l’argent qu’on n’a pas pour une pratique qui plus est facultative relève tout bonnement du suicide. Et puis, ce rite ibrahimien n’est pas un pilier de l’islam et nulle obligation par conséquent à observer  ce qui relève de la Sunna par ceux qui n’en ont pas les moyens ainsi que le stipule clairement la parole divine dans la Sourate de la Génisse : Allah n’impose à aucune âme une charge supérieure à sa capacité. Au nom alors de quel principe, supra-spirituel ou métaphysique, on s’entête dans ce pays à s’endetter ou  bazarder ses propres affaires  afin de «faire l’aïd» sur fond  de drames nées de disputes violentes entre conjoints autour du mouton, de sa race et de son poids. Eh oui, les moutons ne se valent pas. Certains sont plus égaux que d’autres ! Dans l’imaginaire populaire, il faut que le bélier montre patte blanche. Paie de mine. Justifie des attributs du sacrifice que sont principalement de belles et grandes cornes.

le monde veut avoir son propre bélier. L’indigent comme le mendiant. Le gardien de voitures comme le sans-emploi.
Tous  acceptent plus ou moins de bon cœur que le mouton leur fasse la peau.

Le cahier de charges pour le pauvre mari est clair : il faut que le gentil animal, pedigree sardi de préférence,  soit plus impressionnant que celui de la voisine. Sinon, c’est lui qui risque d’être sacrifié. Bonjour la galère financière. L’aïd dans la culture dominante ça sert aussi à épater le voisinage et même au-delà. La frustration n’est pas cependant le seul  facteur explicatif de cette moutounmania puisque les Marocains qu’ils soient démunis ou non mangent durant toute l’année de la viande ovine et bovine à toutes les sauces, méchoui, tagine, viande hachée, saucisses… A part ça, le Maroc reste un pays magnifique, fidèle à son amour des paradoxes, où le mouton s’invite avec force dans la vie de la nation, revigorant quelques semaines avant le jour j, un débat national en panne sur des sujets de haute importance ! Le roi-mouton tient le haut du pavé. Monopolise les conversations. Dans les familles, les cafés et les réseaux sociaux ! Qui mieux que la race ovine pour  exciter l’imagination et élever le niveau de la réflexion ? Fidèle au grand rendez-vous annuel, le ministre de l’Agriculture contribue à son tour, la mine fière, aux abats pardon au débat d’idées en faisant des sorties au parlement pas bêtes du tout sur l’état du cheptel. L’aïd Al Adha c’est selon les chiffres officiels un transfert d’argent d’un peu plus de 10 milliards de DH de la ville vers le monde rural. C’est au nom de cette solidarité avec le Maroc des campagnes que les décideurs maintiennent  sans doute la tradition du sacrifice. Mais reste à savoir qui est le vrai gagnant dans cette affaire. Ce qui est certain c’est que le petit éleveur, obligé de trimer dur pour nourrir  très cher son troupeau du petit matin à la tombée de la nuit, en prévision de l’aïd, fait figure de grand dindon de la farce. Les intermédiaires, les fameux « chennaqas » qui mettent le feu aux prix, se sucrent sur son dos en profitant du fait qu’il n’a pas la logistique nécessaire pour convoyer son bétail vers la ville. Tout le monde veut avoir son propre bélier. L’indigent comme le mendiant. Le gardien de voitures comme  le sans-emploi. Tous  acceptent plus ou moins de bon cœur que le mouton leur fasse la peau. La brebis égarée.  Signe que les mentalités du grand nombre n’ont pas vraiment  changé malgré les années qui passent, donnant à voir la persistance  de réflexes archaïques  qui défient l’entendement. Une réalité peu flatteuse qui au fond se nourrit  du naufrage de l’éducation, le seul levier capable d’agir sur le poids des conservatismes et de déverrouiller les esprits… Stress hydrique, inflation, renchérissement du coût de la vie et  érosion du pouvoir d’achat des populations démunies. Tout milite pourtant pour l’interdiction de ce rituel comme ce fut le cas  par le passé. Décréter l’annulation de la fête du mouton dans un contexte aussi contraignant et socialement tendu est de nature à libérer  sur un plan moral  le gros de la population nécessiteuse d’un lourd fardeau. Beaucoup de chefs de familles démunis, qui n’en peuvent plus de sacrifier l’essentiel pour le superflu, attendent en effet  la  délivrance. Un service inespéré leur serait ainsi rendu, surtout que le calendrier des dépenses tout aussi écrasantes  forme une ligne à la queue leu leu : vacances estivales et rentrée scolaire. Tres cher payé le boulfaf!

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