Les Jeux olympiques, qui ont lieu tous les quatre ans, font en quelque sorte office d’examen du potentiel sportif des nations. Moment de vérité planétaire où le niveau de ces dernières est évalué et noté. Rigoureusement et sans concession. Les pays participants présentent deux semaines durant devant quelques milliards de téléspectateurs scotchés devant leur téléviseur la qualité de leurs représentants dans les sports où ils concourent. Comme d’habitude, celui du Maroc ne vole pas très haut avec des athlètes peu compétitifs qui le propulsent dans la catégorie des cancres les plus brillants de la classe JO aux côtés de nombreux autres pays où le sport est le parent pauvre des politiques publiques. En dehors de l’athlétisme qui sauve régulièrement l’honneur national, les autres disciplines ont du mal à s’imposer. Résultat : les JO se suivent et se ressemblent pour le royaume. Pour la énième fois donc, le Maroc est bien positionné pour subir une déconvenue aux JO de Paris 2024 auxquels ont pris pourtant part pas moins de 19 disciplines. Excepté l’athlétisme porté par le champion international Soufiane El Bakkali et le football avec les coéquipiers de Achraf Hakimi potentiellement «médaillables», les autres sports n’ont pas pu glaner la moindre breloque. Natation, aviron, surf, canoë-kayak, boxe, judo, Taekwondo, sports équestres, lutte libre, beach volley, escrime, cyclisme, triathlon, golf, breaking, tir, sports urbains… Tous éliminés à différents stades de la compétition. Bienvenue dans le monde de la figuration olympique dont les héros sont fidèles à la fameuse phrase attribuée à Pierre de Coubertin : «l’important c’est de participer». Faut-il objectivement s’étonner de cette récurrente méforme olympique nationale qui est la résultante d’une conjonction de facteurs que l’on peut résumer dans des défaillances de gouvernance et d’absence d’une vision sportive ambitieuse.
Au Maroc, le sport dans sa diversité pâtit principalement de l’incurie qui sévit dans la majorité écrasante des fédérations sportives dont le fonctionnement n’a au demeurant rien à envier à celui de l’essentiel du tissu associatif et des structures partisanes. Comment voulez-vous que des instances sportives souvent mal élues, dont le public ignore jusqu’au nom des patrons, minées par des pratiques peu orthodoxes, produisent autre chose que l’échec musclé ? Dans cet univers de toutes les opacités où l’obligation de résultats et la reddition des comptes ne font pas partie de la culture des dirigeants, continuent à sévir dans l’impunité totale des méthodes très peu propices à l’épanouissement sportif et à l’émergence de champions de haut niveau. Une réalité peu flatteuse qui va à l’encontre de l’ambition officielle de faire du sport un levier majeur du soft power. Mais aussi de ce qu’est le sport moderne : une industrie à part entière qui draine de plus en plus d’argent et offre des opportunités de croissance non négligeables. “ Nonobstant la multitude des défaillances qui y ont conduit, la situation inquiétante que connaît notre sport national est imputable à des carences majeures qui exigent une révision du mode de gouvernance en vigueur actuellement, dans la gestion des fédérations et des clubs. Il faut également veiller à l’adaptation du cadre juridique aux développements observés dans ce secteur, ainsi qu’à la formation, l’encadrement, le règlement du problème de financement et la mise en place des infrastructures sportives nécessaires. Il est donc impératif d’élaborer une stratégie nationale multidimensionnelle, pour remettre d’aplomb ce secteur vital”. Ces recommandations émanent du souverain, extraites de son message adressé aux participants aux assises nationales du sport ( Skhirat 2017), sont restées malheureusement lettre morte. Or, le sport ne se limite pas seulement au football qui, il faut le reconnaître, a connu au Maroc une progression remarquable lui permettant de rivaliser avec les meilleures nations footbalistiques. Il y aussi d’autres disciplines certes moins populaires que le ballon rond mais qui concourent au prestige d’un pays. Le Maroc dispose bel et bien d’un ministère du sport doté d’un budget mais celui-ci a toujours donné la nette impression de ne pas avoir la haute main sur un secteur pris en otage par des lobbies occultes aux intérêts peu avouables, dont le comportement est aux antipodes des règles du management du sport. Mais qui s’en émeut vraiment ? En tout cas, pas le ministère de tutelle dont les titulaires du portefeuille n’ont jamais frappé du poing sur la table ni conduit la moindre action d’assainissement au cœur de ces citadelles d’une autre époque notoirement «casserolés». Cela dit, le sport n’est pas seulement affaire de fédérations. C’est un écosystème composé d’une multitude d’acteurs institutionnels ( État , collectivités territoriales) et privés comme les associations, les clubs et les entreprises. Au Maroc, cet écosystème reste à inventer, le paysage de la filière sport étant dominé par des fédérations gavées à l’argent du contribuable et qui, de surcroît, ne rendent pas de compte, malgré la succession des contre performances et des désillusions. On dirait que la dilapidation des fonds publics est un sport toléré qui se pratique à plein temps dans l’ombre de l’on ne sait quels parapluies … Or, la performance sportive ne se décrète pas. Elle se construit patiemment sur le long terme en s’appuyant sur le professionnalisme et des moyens conséquents. Elle n’est ni le fruit du hasard ni de la bénédiction parentale. Un écosystème sportif digne de ce nom, comme c’est le cas sous les cieux sportivement brillants, attire des sponsors qui misent sur des talents en herbe dans telle ou telle discipline en leur offrant l’accompagnement nécessaire dans leur quête des sacres internationaux. Comment voulez-vous cultiver le sport de haut niveau, générateur de médailles, alors que les infrastructures font encore défaut chez nous ? Les Marocains sont réputés pour avoir le pied marin grâce à deux façades maritimes de plus de 3.000 km. Mais est-il possible de bâtir des champions en natation sans piscines dédiées en nombre suffisant ( la ville de Casablanca dispose d’une seule piscine située dans le complexe Mohammed V alors que la majorité des villes n’en ont pas ! ). Une question qui coule de source : Quel est l’apport des communes dans la promotion du sport au Maroc ? il avoisine zéro, nos très chers édiles communaux étant visiblement trop absorbés par d’autres sports où ils excellent merveilleusement bien. Des exploits qui leur valent depuis quelque temps des podiums judiciaires pour le moins inattendus… Le sport scolaire offre une plateforme inestimable pour la détection des talents. Mais encore faut-il avoir les moyens de ses ambitions. Ce qui n’est pas le cas puisque la fédération marocaine du sport scolaire touche de la part du ministère de l’Éducation nationale une subvention annuelle de 12 millions de DH. Une misère comparée au niveau faramineux de rémunération des sportifs confirmés. On est très loin du compte. Un écosystème sportif digne de ce nom intègre aussi une composante essentielle, celle des écoles sports études qui permettent de combiner un parcours scolaire classique et la pratique professionnelle d’un sport. En plus de favoriser l’émergence de futures gloires sportives, ce système d’équilibre est rassurant pour les parents quant à l’avenir de leurs enfants. Au cas où la réussite par le sport ne serait pas au rendez-vous, l’apprenant peut toujours faire carrière dans un métier lié à sa vocation estudiantine. Bien des familles marocaines préfèrent, à défaut d’avoir des garanties réelles, miser sur l’ecole plutôt que le sport quand bien même leurs enfants font montre de qualités certaines dans telle ou telle discipline susceptibles de les propulser dans la cour des grands. Il est grand temps de changer de braquet pour donner la chance au plus grand nombre de s’affirmer par le sport… Excellente initiative royale, l’académie Mohammed VI du football inaugurée en 2009 est le seul modèle du genre qui a fait émerger quelques talents du ballon rond. Ce dispositif gagnerait à être généralisé en intégrant d’autres disciplines sportives. Le souverain a montré la voie. Il appartient au secteur privé de sauter le pas pour s’inscrire dans cette dynamique connue pour son rôle dans l’écrémage de l’élite sportive. Le sport national est appelé plus que jamais à opérer sa transformation au bénéfice du pays et de ses adeptes. A charge pour les décideurs d’agir pour faire en sorte que les dirigeants des fédérations sportives arrêtent de se cacher derrière les performances du foot pour se mettre à niveau et prendre enfin le virage de la prouesse.