Gangrène universitaire

Non, le scandale du trafic des Masters, qui a secoué le monde universitaire national, n’est pas seulement une affaire de justice! Elle est d’abord et surtout, de par sa gravité et ses multiples implications en interne et à l’international, un sujet politique de premier ordre. N’en déplaise au chef du gouvernement qui a botté en touche sous la coupole en se cachant derrière le secret de l’instruction, cette affaire sans précédent dans les annales académiques interroge en profondeur le destin du capital humain et le destin de la nation tout court, pris au piège d’une gouvernance perverse, malade et défaillante qui enfante la corruption et les pratiques amorales jusque dans l’institution universitaire, temple du savoir, censée fabriquer dans l’intégrité et le sérieux nécessaires l’élite gestionnaire du pays. Quoi de plus dramatique pour une nation que d’enfanter des professeurs malhonnêtes qui monnayent les diplômes alors que ceux-ci doivent obligatoirement garder leur crédibilité et rester à l’abri de tout marchandage de quelque nature que ce soit !

Plus qu’un outil de classement qui permet de hiérarchiser les individus en fonction de leurs acquis, le diplôme représente un instrument de matérialisation des connaissances effectivement acquises à mettre au service du pays et de son développement. Vendre le diplôme, qu’ il soit master, doctorat ou licence, sans que le bénéficiaire n’ait passé ni concours d’accès ni suivi les cours, c’est compromettre tout ce processus d’apprentissage universel et mettre sur le marché de fausses compétences. Avec tout ce que cela implique comme dégâts incalculables dans la gestion des affaires du pays. En plus de laisser deviner un système universitaire gangrené par la corruption, l’affaire Klich, du nom du professeur indélicat de l’université Ibn Zohr à Agadir, met en lumière une autre dérive : la prolifération des formations master. Master de ceci et master de cela délivrés par les universités marocaines et les établissements d’enseignement privé. Plus de 480 options disponibles ! Un véritable business qui rapporte gros à ses acteurs attirés plus par l’appât du gain que par le désir de contribuer à l’amélioration des dispositifs de formation.


Le pire qui puisse arriver à un pays est de fabriquer une fausse élite sans morale, qui plombe son avenir par ses accointances douteuses, qui se sert de son statut pour s’enrichir de manière indue au détriment des valeurs éthiques.

Plus de 480 options disponibles ! C’est beaucoup et cela ressemble à un grand bazar, ce qui ne contribue guère a priori à une homogénéisation des formations Master, des méthodes d’enseignement et des procédés d’évaluation. Et puis, cette question triviale mais d’importance capitale : le ministère de l’Enseignement supérieur est-il outillé pour organiser le contrôle de toutes les formations Master accréditées et leur qualité académique ? C’est pour cela que le département de tutelle doit plancher sur un dispositif rigoureux pour mieux encadrer ce diplôme professionnalisant si convoité et pallier les failles qui ont conduit à sa marchandisation scandaleuse .

L’objectif est d’arriver à faire émerger un diplôme national de Master (DNM) véritablement contrôlé par l’État et au-dessus de tout soupçon. Ce qui est visiblement loin d’être le cas. Le gros des efforts doit évidemment être consenti dans le choix des enseignants qui, comme le montre l’affaire Klich, laisse beaucoup à désirer. Le monde universitaire national est peuplé hélas de professeurs de moins en moins de vocation qui optent pour ce métier noble non pas faute de mieux mais par engagement et désir de partager leur savoir, servir le pays et non s’en servir comme tremplin pour gagner illégalement des mille et des cents. 

La détérioration consternante de la qualité des étudiants universitaires est à chercher du côté du niveau de qualification des enseignants qui sont recrutés parfois dans des conditions obscures parmi d’anciens étudiants qui n’ont pas le niveau requis pour assurer les cours magistraux ou des travaux dirigés. C’est ainsi que la médiocrité universitaire se reproduit, se propage et s’entretient sur fond de pratiques indignes dans un monde où tout a un prix…Y compris la révision des thèses par certains encadrants ! L’affaire Klich est un indicateur que le Maroc a mal à son élite. Le pire qui puisse arriver à un pays est de fabriquer une fausse élite sans morale, qui plombe son avenir par ses accointances douteuses, qui se sert de son statut pour s’enrichir de manière indue au détriment des valeurs éthiques. Le Maroc qui a lancé des chantiers d’envergure tous azimuts et aspire sous la conduite du Roi Mohammed VI à jouer dans la cour des grands serait mieux inspiré de penser à la création d’une filière d’excellence, une espèce d’école du Royaume qui forme comme il se doit les élites politiques et administratives.

Vendre des diplômes au plus offrant est plus qu’un acte de corruption banale qui relève de la justice, c’est une forfaiture sans nom qui jette la suspicion sur tout le système éducatif national et sape sa crédibilité. Ne rien faire pour extirper le mal à la racine c’est laisser les réseaux criminels sévir au cœur de l’université et prospérer à l’ombre des complicités. L’affaire Klich n’est pas un fait divers sensationnel . C’est une grosse alerte sur la nécessité impérieuse de nettoyer l’enseignement supérieur. Celui-ci est en train de dérailler. Il faut d’urgence le remettre sur la bonne voie.

Par Abdellah Chankou

Les plus lus
[posts_populaires]
Traduire / Translate