Il faut libérer la Tunisie…

Ce qui se passe en Tunisie est trop grave pour ne pas nous interpeller et faire réagir au-delà des militants des droits humains locaux. Allant crescendo mais sans jamais connaître de pause, la dérive autoritaire de Kaïs Saïed atteint son apogée avec les peines anormalement lourdes oscillant entre 13 et 66 ans infligées samedi 19 avril par le tribunal de première instance de Tunis. Même sous l’ancien régime policier du président déchu feu Zine El Abidine Benali, la justice aux ordres n’a montré un tel degré d’arbitraire et de cruauté. 

Les malheureux condamnés sont formés en grande partie de politiciens, d’ex-ministres, d’hommes d’affaires et d’avocats dont une bonne partie est en prison depuis deux ans alors que les autres sont soit en liberté ou en exil. Les nouvelles victimes de Kaïs Saïed, qui iront rejoindre derrière les barreaux le plus célèbre des opposants, le chef du parti islamiste Ennahda, Rachid El Ghannouchi, condamne en février 2025 à 22 ans de prison, étaient poursuivies dans le cadre d’un simulacre de procès pour un supposé complot contre l’Etat.

Or, l’Etat c’est Kaïs Saïd, surtout depuis son coup de force institutionnel de juillet 2021 qui lui a permis en invoquant l’article 8- de la Constitution de s’arroger les pleins pouvoirs après avoir suspendu le Parlement et dissout le gouvernement et dans la foulée le Conseil supérieur de la magistrature. Dès lors, le locataire du palais de Carthage ne légifère que par décrets et un an plus tard il s’offre une révision constitutionnelle qui a renforcé son pouvoir au détriment de l’appareil législatif. Seul maître à bord, sans contre-pouvoir, il fait et défait les gouvernements en prenant souvent des décisions intempestives qui trahissent une certaine instabilité mentale. Tout un pays soumis à ses sautes d’humeur.

Toute une société otage de Kaïs Saïed ! C’est l’image renvoyée par la Tunisie actuelle qui souffre et étouffe comme jamais sous l’emprise de cet homme qui a confisqué les acquis de la révolution de janvier 2011 ayant fait quitter le pouvoir à Zine El Abidine Ben Ali. Propulsé à la tête de l’Etat en 2019 sur les promesses de l’amélioration des conditions économiques et sociales du pays, il ne les tient pas et sous sa présidence chaotique la situation empire malgré un deuxième mandat qu’il a décroché sans coup férir en octobre. Économie en berne. Finances exsangues. Inflation galopante. Entre pénuries et dégradation du pouvoir d’achat, l’exaspération sociale bat son plein. Dans ce contexte de crise sans précédent, Kaïs Saïed ne peut se targuer que d’une seule réussite. Celle d’avoir fait regretter à ses concitoyens l’ère Benali marquée par une prospérité économique et un bon niveau de vie de la population… Sous l’époque du président déchu, les Tunisiens ne manquaient en effet de rien, vivaient beaucoup mieux quand bien même la démocratie était de façade et la liberté d’expression inexistante. Avec Kaïs Saïed, ils ont tout perdu.

Avec Kaïs Saïed, les Tunisiens ont tout perdu. Les dividendes de la révolution de 2011, leurs acquis sociaux et la liberté d’expression.

Les dividendes de la révolution de 2011, leurs acquis sociaux et la liberté d’expression. Il ne fait pas être opposant ou voix dissonante dans la Tunisie de Kais Saied qui criminalise les acteurs politiques, médiatiques, syndicaux ou associatifs. Des dizaines de politiciens, militants des droits de l’homme, journalistes et avocats seront interpellés à partir de 2023 en vertu d’un magnifique décret-loi qui incrimine la diffusion de fausses nouvelles portant « préjudice à la sûreté publique » et qui offre des boulevards d’interprétation. Ce qui expose toute personne qui ose diffuser verbalement, par écrit ou en ligne ou autre chose que la propagande kaisienne à la répression féroce d’un système délirant et ubuesque. Pour un homme dont le parcours est marqué par un engagement auprès d’organisations comme la Ligue arabe (1989-1990), l’Institut arabe des droits de l’homme (1993-1995) ou l’Association tunisienne du droit constitutionnel (1990-1995), le cheminement est pour le moins stupéfiant. 

Côté politique régionale, continentale et internationale de la Tunisie, le bilan est tout aussi catastrophique, Kaïs Saïed ayant engagé son pays sur des impasses diplomatiques incroyables. Avec le Maroc, il a mis fin à plusieurs décennies de neutralité positive dans le dossier du Sahara marocain en accordant un accueil digne d’ un chef d’Etat au patron du Polisario Brahim Ghali, à l’occasion du sommet Japon-Afrique-Ticad (Tunis en août 2022). Un alignement flagrant sur les thèses algériennes qui a jeté un grand froid dans les relations maroco-tunisiennes et transformé la Tunisie en wilaya algérienne ! En février 2023, Kaïs Saïed a provoqué un tollé international avec ses propos aux relents racistes proférés contre des « hordes de migrants clandestins » qui commettent selon lui « des violences et des crimes » dans son pays, allant jusqu’à accuser « les immigrés illégaux d’Afrique subsaharienne» de «modifier la composition démographique de la Tunisie » afin d’en faire « un pays africain ».

L’appareil judiciaire tunisien est complice des graves atteintes des droits humains commises à l’encontre des voix libres. Il ne doit pas accepter de servir, via des parodies de procès sans garanties, les desseins inconséquents d’un homme aux réflexes paranoïaques qui est en train de détruire la Tunisie. Il est urgent de sauver ce pays du Maghreb et libérer les Tunisiens qui ne méritent pas le sort horrible qui leur est infligé…

Par Abdellah Chankou

Les plus lus
[posts_populaires]
Traduire / Translate