Le scandale fait grand bruit, enflamme les réseaux sociaux et inquiète plus d’un. Et pour cause. Un professeur de droit de l’université Ibn Zohr d’Agadir, également figure politique locale d’un parti de l’opposition, a été placé récemment en détention provisoire à Marrakech. Motif : avoir trempé dans une affaire de trafic de masters « système pénal et gouvernance sécuritaire » en installant un marché parallèle de vente illégale de ces diplômes très prisés. Sans que les bénéficiaires malhonnêtes ne passent ni le concours d’accès ni assistent aux cours.
Ce n’est pas la première fois que ce type de fraude sordide éclate au grand jour, plusieurs affaires similaires remontent régulièrement à la surface, dont notamment celle du master « Droits des contentieux publics » à la Faculté des sciences juridiques, économiques et sociales de Fès en 2018. Cette prévarication d’un autre genre, encore plus dommageable, n’est certainement que la face visible de l’iceberg d’une vaste entreprise d’escroquerie aux diplômes universitaires et au savoir académique en général. Voilà qui jette la suspicion sur toute l’institution et ses acteurs et achève de décrédibiliser aux yeux de l’opinion un enseignement supérieur déjà rongé par une foultitude de maux chroniques dont la mauvaise qualité de la formation et la vétusté des infrastructures… Quelle valeur a encore le diplôme universitaire lorsque l’on sait qu’il suffit de payer quelques millions pour l’obtenir ?
Vu l’extrême gravité de la situation, nous sommes devant un scandale sans nom. Une monstruosité aux conséquences néfastes sur le système éducatif national, la fiabilité de son encadrement et le développement du pays. Au diable l’égalité des chances, la méritocratie et la certification sérieuse du niveau des connaissances des étudiants ! Le constat est terrible : le sous-développement éducatif et le sous-développement tout court est entretenu par ceux-là même qui ont la charge de le combattre par la formation des futurs citoyens sur des bases saines et solides. A un moment où le Maroc a besoin de compétences bien formées pour relever les multiples défis qui l’assaillent de toutes parts, des réseaux mafieux ont installé au cœur de l’université de juteuses machines à fabriquer de vrais-faux diplômés. Entre 250.000 et 300.000 DH pièce, le filon est très juteux. Un véritable business de l’entourloupe qui attire de plus en plus de clients malhonnêtes. Qui pour intégrer une profession, qui pour bénéficier d’une promotion, qui pour monter en grade…Quel est le nombre exact de ces bataillons de cadres prétendument « mastetrisés » ? Une chose est sûre : Ils sont partout. Ils sévissent dans la fonction publique, le secteur privé et les professions libérales.
Les magouilles n’épargnent plus aucun secteur au Maroc, rongeant désormais, comme les termites le bois, l’univers universitaire, le temple où se transmet le savoir et se forme l’élite du pays !
Il faut débusquer et sanctionner pour l’exemple ces faux diplômés sans compétences pour les postes qu’ils occupent de manière indue. Acheter son master ou sa thèse de doctorat comme on achète des tomates dans le souk du coin est donc possible ! On pensait que la corruption et l’incurie étaient confinées dans le monde politique, le mercato électoral, les communes et les marchés publics…Décidément, la prévarication fait des progrès insoupçonnés et gangrène dans des proportions ahurissantes des institutions que l’on croyait jusque-là protégées contre des pratiques autrement plus destructrices. En vérité, les magouilles n’épargnent plus aucun secteur au Maroc, rongeant désormais, comme les termites le bois, l’univers universitaire, le temple où se transmet le savoir et se forme l’élite gestionnaire ! Après la marchandisation de l’enseignement et ses dérives, bonjour le diplôme tarifé ! Il y a quelque chose de pourri au royaume du Danemark comme dirait Shakespeare…
Ya-t-il pire effondrement que celui des valeurs et pire naufrage que celui de la probité intellectuelle, la mercantilisation de ce qui ne devrait jamais l’être par ceux qui sont censés incarner la rigueur et l’excellence ? Comme toujours, personne n’est responsable de cette nouvelle faillite morale retentissante, dilution des responsabilités oblige ! Le Maroc de l’éducation et de la formation est donc devenu un grand supermarché où tout s’achète. Les masters. Les licences professionnelles. Les diplômes de menuisier et de mécanicien… Les postes d’enseignants aussi. Au nom de la course effrénée vers l’enrichissement illicite, tout est devenu achetable. Triste et affligeante réalité d’une société qui se résigne face à toutes les combines, toutes les compromissions pour se faire de l’argent facile mal acquis, le cancer qui fausse le jeu, altère les règles , et corrompt les consciences… Le plus inquiétant c’est l’absence de débat sur cette infamie aggravée par le silence assourdissant du gouvernement. Aucune voix forte ne s’est exprimée pour nous expliquer les ressorts de cette nouvelle forfaiture académico- éducative et les moyens à déployer pour immuniser l’acquisition effective du savoir contre la corruption et les méthodes indignes. Mais dans quel monde vivons- nous?
Par Chankou Abdellah