Adopté mardi 20 mai 2025 par la première Chambre, le projet du nouveau code de la procédure pénale porté et défendu crânement par le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi comporte bien des nouveautés positives : un encadrement juridique plus strict de l’enquête préliminaire, la consécration du principe de présomption d’innocence, l’introduction du droit au silence de l’accusé placé en garde-à-vue ou l’adoption de mécanismes visant la réduction au recours à la détention préventive… Ces avancées non négligeables ont été toutefois occultées par le contenu de deux articles, 3 et 7, qui limitent de manière drastique le rôle de la société civile dans la dénonciation des délits financiers auprès de la justice. Jusqu’ici, les associations spécialisées dans la protection des fonds publics pouvaient porter plainte essentiellement contre les élus supposés prévaricateurs sur la base des rapports de la Cour des comptes, d’articles de presse ou suite à l’action de citoyens ou entités se disant victimes des agissements des mis en cause. Ces saisines, il faut le reconnaître, ont été à l’origine au cours de ces dernières années de plusieurs procès spectaculaires pour dilapidation ou détournements d’argent public. Or, ces poursuites, jusque-là automatiques, ne le sont plus dans le cadre de la nouvelle réforme qui confère ce droit au seul ministère public, habilité à ouvrir une enquête judiciaire en relation avec les abus dans la gestion publique à partir de données transmises par la Cour des comptes, l’Inspection générale des finances, l’inspection générale de l’administration territoriale ou l’Instance nationale de la probité, de la prévention et de la lutte contre la corruption (INPPLC).
Exit donc les associations qui doivent dorénavant justifier d’un statut d’utilité publique et disposer d’une autorisation spéciale d’ester en justice délivrée par le ministère de la Justice pour pouvoir se constituer en partie civile. Cette restriction, vigoureusement dénoncée par l’opposition et les milieux des droits humains, est considérée comme une régression démocratique et une condamnation d’une mission de vigilance et de veille citoyenne dont la portée risque d’être fortement limitée pour ne pas dire compromise… Un contre-pouvoir qui saute alors que la hausse du débit de l’incurie locale est censée plaider pour son renforcement ! Les élus indélicats doivent certainement exulter puisqu’ils n’auront plus aux trousses les méchantes associations de protection des deniers publics.
L’attitude de Abdellatif Ouahbi est troublante et jette la suspicion sur ses véritables intentions.
Mais le ministre de la Justice Abdellatif Ouahbi, droit dans ses bottes, ne l’entend pas de cette oreille, justifiant sa décision par le fait que certaines associations comptent de pseudo-militants qui utilisent les rapports de la Cour des comptes pour rançonner les élus mis en cause en les soumettant au chantage. Soit vous passez à la caisse soit je vous dénonce à la justice ! C’est un secret de polichinelle que le contexte national a enfanté en quantités industrielles des individus de morale faible dont les pratiques défraient régulièrement la chronique jusque dans des secteurs vitaux comme l’enseignement supérieur…
Mais est-ce une raison pour punir l’ensemble des acteurs associatifs en les mettant dans le même sac ? Ce n’est pas parce qu’un chauffard a grillé le feu rouge qu’il faudra sanctionner tous les automobilistes ! Cela n’a pas de sens. Sauf si derrière la démarche du ministre se profile un non-dit cachant un réflexe corporatiste, un comportement de clan lié à son appartenance partisane. Faut-il rappeler que Abdellatif Ouahbi, issu du PAM dont il était secrétaire général, est président de la commune de Taroudant dont il est également député et à ce titre exposé à une potentielle action publique déclenchée par une association au cas où sa gestion communale serait sujette à caution ? Ceci étant précisé, une question se pose et s’impose : a-t-il agi dans cette affaire en tant qu’homme de droit et de loi, garant du respect de l’ordre juridique et soucieux de défendre la justice ou avec la casquette de ministre politique tenté de protéger ses congénères et de se protéger lui-même de l’inquisition associative ?
Un ministre de la Justice sans étiquette politique aurait certainement eu une approche différente… Ce qui sur un plan doctrinal met en lumière l’importance capitale de mettre la justice à l’abri d’éventuelles interférences politiques ou partisanes visant à privilégier des intérêts corporatistes au détriment de l’intérêt général, de l’impératif de transparence et de moralisation de la vie publique.
Une chose est sûre : L’attitude de Abdellatif Ouahbi est troublante et jette la suspicion sur ses véritables intentions. Ce que d’aucuns qualifient de verrouillage au nom d’arguments peu clairs est aux antipodes de la vitalité associative impulsée par le règne de SM le Roi Mohammed VI qui a reconnu dans ses discours le caractère essentiel de l’action de la société civile dans le développement du pays. Les articles Ouahbi sonnent comme une reprise en main, un retour sur un précieux acquis…
Par Abdellah Chankou