La Méditerranée, planche de salut pour l’UE

L’Union européenne a entamé la nouvelle année diplomatique sur les chapeaux de roue. Et sous un signe nouveau. Celui de la volonté d’approfondissement de son partenariat avec le Maroc  dont Josep Borrell en visite officielle à Rabat les 5 et 6 janvier a fixé les grands objectifs et tracé les nouveaux contours dans un entretien paru la veille dans le quotidien Le Matin. C’est ce que le haut représentant de l’UE pour les Affaires étrangères et la Politique de sécurité est venu en tout cas  prêcher  auprès de ses interlocuteurs,  le Premier  ministre Aziz Akhannouch et le ministre des Affaires étrangères Nasser Bourita, avec lesquels il a eu des entretiens sur les défis communs de la coopération entre les deux parties.

Intervenant dans un contexte géopolitique bourré  d’incertitudes, le déplacement du chef de la diplomatie européenne revêt des enjeux décisifs pour l’avenir de l’UE du fait de la guerre en Ukraine et ses conséquences ravageuses  (flambée des prix de l’énergie notamment le gaz et de l’électricité, inflation galopante, grèves sectoriels dans certains pays, entreprises menacées  de faillite…). Cette crise multiforme sans précédent est porteuse de lourdes  menaces. D’abord  pour des pans entiers de l’économie européenne (qui doivent leur développement et leur compétitivité en partie  au gaz russe à  bas coût)  mais aussi pour la paix sociale dans nombre de pays de la zone Euro confrontés déjà à des degrés divers à la montée de la grogne sociale en raison du renchérissement  au-delà du supportable du coût de la vie et  la flambée spectaculaire des douloureuses.

Tant que le cessez-le-feu n’est pas intervenu  dans le conflit russo-ukrainien, l’année 2023 sera  à coup sûr façonnée par les bouleversements de l’année précédente. Ce qui risque de se traduire par une  baisse continue du moral des ménages européens et l’aggravation des difficultés économiques de nombre de secteurs d’activités.

En faisant le voyage du Royaume, le chef de la diplomatie européenne avait certainement toujours en tête  sa fameuse métaphore lui ayant valu des critiques selon laquelle « l’Europe est un jardin » susceptible d’être envahi par « la jungle ». Une allusion à la «dictatorisation» du monde incarnée par le régime poutinien qui a osé installer au mépris du droit international  la guerre aux portes de l’Europe en attaquant l’Ukraine, et  le système  chinois de Xi Jinping qui attend à son tour le bon moment pour prendre Taiwan par la force. Du côté  de ces deux puissances jugées porteuses de chaos, l’horizon s’est subitement assombri  pour ne pas dire bouché. Pour l’Occident en général, le nouvel axe du mal, autrement plus difficile à neutraliser que celui de l’Iran des Mollahs ou l’Afghanistan des Talibans, a pour nom Moscou-Pékin.

Le Maroc gagne subitement en importance stratégique aux yeux des dirigeants de l’UE car il offre la seule base de repli pour une Europe sérieusement fragilisée.

D’où la nécessité presque vitale pour le vieux Continent notamment-les États-Unis arrivant toujours à tirer leur épingle du jeu des bouleversements géopolitiques majeurs- de relever son plus grand défi depuis la construction européenne : sa transition géopolitique. Dans cette nouvelle ère qui se dessine avec une recomposition en profondeur des alliances mondiales, le Maroc gagne subitement en importance stratégique aux yeux des dirigeants de l’UE car il offre la seule base de repli pour une Europe sérieusement fragilisée. Coupée à son corps défendant de son partenariat stratégique avec la Russie qui lui fournissait le carburant à bas prix de son développement économique et le moteur de sa stabilité sociale, confrontée à la tentation du cavalier seul qui a surgi jusque dans le couple franco-allemand qui bat de l’aile depuis l’explosion de la crise énergétique, l’UE n’a d’autre choix que de  s’ouvrir davantage sur son principal partenaire du sud. Objectif : se refaire une santé énergétique et industrielle tout en luttant contre le  réchauffement climatique avec les carburants propres (le partenariat vert, premier du genre, signé entre le Maroc et l’UE en octobre 2022 s’inscrit dans cette nouvelle vision).

En un mot, l’avenir de l’Europe se joue, au-delà  de la coopération sur dossiers, sécuritaire et migratoire, dans un partenariat rénové et d’égal à égal avec le Maroc et qui s’étend plus globalement autour du pourtour méditerranéen. C’est dans cet espace naturel de toutes les opportunités qu’une mondialisation de proximité a des chances réelles de se déployer  en vue de créer une zone de prospérité partagée. La rupture avec  cette mondialisation d’éloignement synonyme de désindustrialisation de l’Europe et de paupérisation de sa périphérie  passe en effet par la relance du partenariat euro-méditerranéen (PEM) figé depuis 1995 dans la déclaration de Barcelone qui donna lieu au processus éponyme abandonné depuis par l’UE au profit de sa politique d’élargissement à l’Est. C’est de  cette Méditerranée, qui n’est plus évoquée depuis des années  que comme un mouroir des migrants clandestins désireux de gagner l’Europe, que pourrait venir la planche du salut géopolitique en faisant émerger les vagues de l’espoir et du renouveau pour les peuples de la région.

Autres temps, autres impératifs ! Ce n’est certainement pas un hasard  si Josep Borrell a tenu à conclure sa visite de travail au Maroc par  un échange «avec les étudiants de l’Université Euro-Méditerranéenne de Fès sur nos responsabilités stratégiques dans le contexte géopolitique actuel». Le message est clair. Le temps est venu pour les dirigeants de l’UE de reprendre le processus de Barcelone pour en faire une plateforme géopolitique viable dans un monde en proie à la tourmente et aux incertitudes.  

«Dans l’UE, nous considérons le Maroc comme un partenaire fiable. C’est notre allié le plus dynamique et le plus proche», a déclaré Josep Borrell a l’occasion de sa conférence de  presse conjointe avec son homologue marocain Nasser Bourita. Mais encore faut-il que les institutions de l’UE, à commencer par son parlement et sa cour de justice, se mettent au même diapason que la commission de Bruxelles et arrêtent leurs attaques répétées pour des raisons inavouées contre le partenariat Maroc-UE en défendant les thèses farfelues des mercenaires du Polisario contre les intérêts vitaux du Royaume. Cette ambivalence, qui se traduit par « un harcèlement juridique  continu », selon l’expression de Nasser Bourita, n’a pas lieu d’être entre véritables partenaires et grands alliés. La relation maroco-américaine en la matière est un exemple du genre.

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