La neige comme atout

En contemplant les images de ces chutes impressionnantes de neige dans plusieurs contrées du pays et les mille et une souffrances que ce phénomène inflige à plusieurs milliers de populations pauvres et démunies qui gèlent à pierre fendre, il est difficile de ne pas faire cette réflexion : le sort de ces Marocains du Maroc profond, aux prises chaque hiver avec une vague de froid intense, aurait été largement meilleur si leurs régions étaient convenablement équipées en infrastructures de base. Ce qui est loin d’être le cas. Ni routes dignes de ce nom, ni bois pour se réchauffer et encore moins un plan d’urgence Orsec alors même qu’elles sont durement touchées au vu des grosses quantités de neige tombées du ciel qui ajoutent à la rudesse de leur quotidien,  qui pèse déjà des tonnes en temps normal. Livrés à eux-mêmes dans l’indifférence des autorités, se débrouillant du mieux qu’ils peuvent, les habitants des trois Atlas, le grand, le moyen et l’anti, sont coupés du monde. Faute de routes praticables, ils sont assiégés. Impossible de se rendre au souk ni à l’école qui sont généralement loin du douar surtout en zone montagneuse où la survie se fige dans des séquences moyenâgeuses.

Vêtus souvent en haillons, les enfants manquent de vêtements chauds et les écoles de cantines. Comment demander à des gamins qui grelottent de froid et ont le ventre creux d’être concentrés sur leurs cours ? Le bétail souffre aussi. Beaucoup de montagnards perdent dans ce froid terrible leurs troupeaux qui constituent leurs uniques richesses dans un environnement des plus impitoyables. Mis à part quelques actions de charité sporadiques qui sont une goutte dans un océan de dénuement, les gouvernements qui se sont succédé ont pris l’habitude de ne pas se mobiliser pour ces gens-là ni déclarer l’état d’urgence dans les régions sinistrées. Face à ce phénomène très rude, les ministres restent de glace! Seul le souverain sonne la mobilisation en donnant à chaque période de grand froid ses instructions pour venir au secours des populations rurales concernées en leur apportant victuailles, couvertures et réconfort.

A part le fait  qu’elle est bénéfique après sa fonte pour la nappe phréatique,  la neige au Maroc représente, un problème, une contrainte, tourne au sinistre, alors que cette eau congelée est gérée ailleurs comme un attrait touristique qui produit du développement local.

Du coup, les discours officiels sur le désenclavement du monde rural se fracassent sur ces images de Marocains en détresse dont les chutes de neige décuplent la souffrance. La baisse drastique des températures devient alors un révélateur de l’incurie des responsables et l’ampleur de la marginalisation dont souffre ces éternels oubliés de la croissance et des politiques publiques… Mais pourquoi recourir constamment quand il s’agit du monde rural à des solutions provisoires comme les hôpitaux de campagne ou des campagnes de distribution de couvertures avec quelques denrées alimentaires là où les décideurs politiques étaient censés agir pour désenclaver, construire des routes, faire émerger des hôpitaux en dur et créer de véritables activités génératrices de revenus? A part le fait qu’elle est bénéfique après sa fonte  pour la nappe phréatique, la neige au Maroc représente, un problème, une contrainte,tourne au sinistre, alors que cette eau congelée est gérée ailleurs comme un attrait touristique qui produit du développement local. Génère des emplois pour les habitants des régions enneigées via la création de stations de sport d’hiver fréquentées par les touristes locaux et étrangers. L’Oukaïmeden, dans la région de Marrakech, qui possède pourtant tous les attraits pour devenir une excellente plate-forme de ski, est handicapée curieusement par l’absence des infrastructures (hôtels, restaurants, animation et autres activités récréatives…). Idem pour Ifrane où cette richesse qu’est la neige, figée à l’état naturel, reste sous-valorisée, ce qui se traduit par un manque à gagner important pour le secteur touristique national qui aurait pu développer, à l’instar de nombre de pays comme la France, l’Espagne et la Suisse, un tourisme hivernal de qualité.  

Or, le Royaume est l’un des rares pays où il est possible dans la même journée de skier (Marrakech ou Ifrane), se baigner (Agadir) et s’offrir un bain de sable (Ouarzazate). Les effets multiplicateurs de cette excursion extraordinaire sont exceptionnels, pouvant impacter directement la communauté des ruraux. Mais encore faut-il que le ministère du Tourisme avec la collaboration des acteurs régionaux se mobilise pour favoriser les investissements nécessaires (formation des jeunes paysans aux métiers du tourisme et de l’accueil, infrastructures routières et sanitaires, aérien pour le trajet Marrakech-Agadir-Ouarzazate…). Voilà de véritables plans de développement, qui épousent parfaitement la réalité du potentiel local, dont a besoin le monde rural pour sortir de son enclavement chronique et du carcan du sous-développement dans lesquels il est maintenu par des politiques publiques rudimentaires et très peu ambitieuses. Il faut cesser de regarder le monde rural avec les lunettes du passé. Les terroirs marocains dans leur diversité doivent être envisagés comme une richesse extraordinaire à valoriser et non des territoires d’assistanat durable perçus comme des fardeaux. C’est un monde qui offre, de par ses ressources insoupçonnées, une gamme de solutions de développement et non une source permanente de problèmes et de contraintes. Le milieu rural peut se développer par ses propres activités touristiques à haute valeur ajoutée. Une partie des taxes et impôts générés pouvant servir pour le financement des projets d’infrastructures et l’amélioration des prestations. Il est grand temps de sortir de cette vision des grands axes touristiques articulée essentiellement autour des hôtels et des restaurants. Elle est réductrice et prive le Maroc de points de croissance et se traduit par un manque à gagner en termes d’emplois et de devises. Le tourisme durable, bénéfique autant pour les communautés rurales que pour l’environnement, ne doit pas seulement servir à meubler les discours.

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