Chakib Benmoussa croit tenir le bon bout de la réforme de l’école en fixant l’âge du démarrage de la carrière d’enseignant à 30 ans. C’est pour cela qu’il s’est montré inflexible face aux syndicats qui lui ont demandé de renoncer à une mesure qu’ils ont qualifiée d’injuste, voire d’illégale car contrevenant au règlement de la fonction publique. Mais le ministre de l’Éducation nationale n’en est qu’au tout début du processus très difficile de la mise à niveau d’un système éducatif miné par des maux structurels qui, faute d’avoir été traités au bon moment, souvent par manque de volonté politique, se sont aggravés jusqu’à devenir complexes et inextricables. Ce qui est certain c’est que le titulaire du département doit se préparer à croiser le fer avec les syndicats sur d’autres aspects décisifs de la réforme à venir qui vont évidemment bien au-delà de l’âge de l’enseignant.
A moins de renoncer à la méthode qu’il a choisie, le passage en force, et d’accepter d’ouvrir le dialogue avec les représentants du corps enseignant sur le programme et le calendrier de réforme envisagé, le risque est grand de braquer ces derniers qui pourraient alors être tentés de déployer leur capacité de nuisance, synonyme de paralysie de tout le système. Un système dont la qualité ne dépend pas seulement de l’âge de l’enseignant mais aussi de la formation que ce dernier a suivie, de sa compétence et du degré de sa motivation. Ce sont ces facteurs, conjugués les uns aux autres, qui peuvent susciter la vocation et déterminer in fine la performance d’un système éducatif.
Plutôt que de parler de réforme de l’enseignement comme cela a été le cas jusqu’ici, il serait plus judicieux d’aborder la problématique éducative sous l’angle de la réforme de l’enseignant, en ce sens qu’il faut mettre celui-ci au centre de l’équation éducative. Avec tout ce que cette centralité suppose comme nécessité de le réhabiliter en lui offrant un statut digne de l’importance stratégique de sa mission. Car l’acte d’enseigner se déroule entre les murs d’une classe et met face-à-face l’enseignant et ses élèves. Tout le reste, l’âge du professeur, par exemple, n’est que réglages techniques.
La crise de l’école publique recoupe justement la dégradation des conditions matérielles et morales de l’enseignant. La paupérisation de ce dernier alors qui était du temps du bilinguisme bien payé pour son travail, respecté dans la société et représentait une figure d’autorité pour ses élèves, s’est accompagnée d’une dévalorisation de la fonction et du mépris de son titulaire. La situation est devenue telle que les enseignants sont victimes d’insultes et d’agressions de la part des apprenants en classe ou à l’extérieur. Ce phénomène s’est banalisé et, plus grave encore, au lieu de donner l’exemple, les pouvoirs publics se sont mis à leur tour de casser de l’enseignant. N’a-t-on pas assisté ces dernières années à des scènes de répression par les forces de l’ordre des manifestations d’enseignants opposés à la contractualisation de leur métier ?
Les dysfonctionnements éducatifs, accumulés durant au moins trois décennies, sont tellement nombreux et complexes qu’il faut une approche systémique de la crise profonde de l’école marocaine pour espérer la sortir de la médiocrité…
Améliorer le rendement de l’école publique en particulier et de l’enseignement en général revient à s’attaquer au mal à la racine, en l’occurrence les raisons objectives qui ont conduit à la baisse effroyable du niveau scolaire que sont la démotivation du personnel enseignant et sa démobilisation. Sans oublier sa formation qui reste beaucoup à désirer alors qu’elle représente un levier essentiel de la refondation de l’école. Combien sont-ils ceux qui sont réellement bien préparés à la dimension pédagogique d’éducateur et dotés de la faculté de transmettre le savoir et inculquer à leur public l’amour par exemple de la lecture, le goût de l’effort et de la recherche ?
En cause, l’arabisation- dont est issue la majorité des enseignants en exercice aujourd’hui- qui a agi, telle qu’elle a été mise en œuvre, sans outils pédagogiques appropriés, comme un virus qui a déstructuré l’appareil éducatif national. Résultat: celui-ci est devenu une fabrique de chômage de masse où continue à être scolarisé le gros des enfants dont les parents n’ont pas les moyens de les scolariser dans le privé qui n’est pas non plus, à quelques exceptions près, synonyme de performance.
Toutes ces défaillances, dont l’apprenant et la nation paient le prix, ont fait que la profession d’enseignant a perdu de son attractivité et de son prestige, attirant davantage des profils très peu qualifiés, en quête juste de planques dans le public et qui vont chercher le complément de salaire dans le secteur privé ou en donnant des cours de soutien à droite et à gauche. Une activité mercantile qu’ils exercent souvent au détriment de leur principal travail qui n’est soumis en plus à aucune évaluation. Il faut reconnaître aussi que la tâche des enseignants au Maroc est loin d’être facile surtout face à des classes surchargées et des élèves socialement en difficulté ayant du mal à suivre le rythme scolaire normal et qui quittent tôt les bancs de l’école. En somme, les dysfonctionnements éducatifs, accumulés durant au moins trois décennies, sont tellement nombreux et complexes qu’il faut une approche systémique de la crise profonde de l’école marocaine pour espérer la sortir de la médiocrité, l’objectif étant de bâtir un citoyen non seulement instruit et capable de se prendre en charge mais également doté d’esprit critique et responsable.
Le développement du pays et sa cohésion sociale passent inéluctablement par le combat de la pauvreté à la racine et la lutte contre les inégalités de destin qui se perpétuent de père en fils du fait notamment de l’inégalité devant l’école consacrée par l’existence d’un enseignement à plusieurs vitesses, l’un pour une poignée de privilégiés et l’autre pour la masse des démunis. Or, seul l’accès à un système éducatif de qualité pour tous peut libérer une bonne partie de la population de ces déterminants sociaux qui la cadenassent dans la précarité sociale et l’ignorance tout en compromettant l’émergence d’un capital humain qualifié. Un cercle éducatif vertueux n’est envisageable que dans un environnement… Un tel résultat ne peut être atteint que dans un environnement où l’enseignant est bien formé (formation initiale et formation continue) et son métier revalorisé avec une reconnaissance sociale de son rôle. Face à l’urgence éducative et la nécessité de restaurer la confiance dans l’école publique, la mobilisation de l’ensemble des acteurs autour d’objectifs communs à réaliser est un impératif. Vivement des états généraux de l’éducation nationale !