La Russie et l’Ukraine représentent 30 % des exportations mondiales du blé. C’est pour cette raison le que conflit russo-ukrainien menace la sécurité alimentaire d’une frange importante de la population du globe…Entre autres réalités amères révélées justement au grand jour par cette guerre qui aurait pu être évitée, l’ampleur de la dépendance de l’Afrique- mais aussi du Moyen-Orient- aux céréales importées d’Ukraine et de Russie que notre confère Afrimag aborde avec force détails dans son numéro du mois de juin.
Il est vrai que l’Afrique subsaharienne est moins dépendante des deux géants céréaliers, la population locale privilégiant les graines maison, comme le mil et le sorgho, qui entrent dans la composition des plats traditionnels. Mais avouez que c’est quand même paradoxal qu’une bonne partie d’un continent, comptant un total 1,5 milliard d’âmes, dépende pour son alimentation d’une Ukraine de 40 millions d’habitants !
Selon le secrétaire général de l’ONU Antonio Guterres, « 45 pays africains et pays les moins avancés importent au moins un tiers de leur blé d’Ukraine ou de Russie – 18 de ces pays en importent au moins 50%. Cela comprend des pays comme le Burkina Faso, l’Égypte, la République démocratique du Congo, le Liban, la Libye, la Somalie, le Soudan et le Yémen ». Le pays des Pharaons est le premier importateur mondial de blé, avec une consommation annuelle estimée à environ 20 millions de tonnes alors qu’elle est dotée du deuxième plus grand fleuve au monde. On nage en pleine saugrenuité…
La crise alimentaire actuelle donne toute son importance à la fameuse Initiative Triple A, lancée par le Royaume à l’occasion de la COP 22 à Marrakech en 2016.
La dépendance africaine aux céréales russes et ukrainiens est d’autant plus incongrue que le potentiel économique et biologique du continent lui permet, selon les experts, non seulement d’assurer son autosuffisance mais aussi d’exporter. Autrement dit, tout milite pour que l’Afrique, qui importe pour plus de 30 milliards de dollars pour nourrir ses enfants, devienne la mère nourricière de la planète. Mais cette dynamique vertueuse se heurte évidemment à une gouvernance profondément chaotique qui a enfanté les mille et un dysfonctionnements connus de tous et qui minent le continent en empêchant son décollage.
Disposant objectivement des atouts lui permettant de se passer de ces importations massives, l’Afrique c’est plus de 40% des réserves mondiales de terres arables jouissant pour la majorité d’entre elles de conditions climatiques favorables à la production du blé en grandes quantités et en qualité ! Selon une étude du Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT), ONG basée à Mexico, qui s’est penché en 2012 sur la situation des 12 pays, rien qu’avec l’eau de pluie, sans recourir à l’irrigation, mais en mobilisant les apports en fertilisants convenables, « 20 à 100% des terres arables » seraient propres à la culture du blé en Angola, Burundi, Éthiopie, Kenya, Madagascar, Mozambique, Rwanda, Tanzanie, RDC, Ouganda, Zambie et Zimbabwe. Des investissements conséquents dans les équipements agricoles sont également nécessaires pour que le continent se mette sur la voie de l’autosuffisance. Encore faut-il que ses dirigeants fassent montre de volonté politique et œuvrent concrètement pour permettre à l’Afrique de prendre son destin alimentaire en main. Objectif : assurer sa souveraineté dans ce domaine stratégique mais aussi dans bien d’autres tout aussi essentiels et décisifs pour son développement.
A peine sortis de l’épidémie de Covid-19 et de ses ravages, les pays africains sont donc confrontés aux effets dévastateurs de la guerre en Ukraine. Une situation sans précédent qui, sous l’effet de la flambée continue des prix des céréales et des produits énergétiques, est porteuse d’instabilité politique avec le risque du retour des émeutes de la faim.
Doté d’un secteur agricole performant dont il a fait dès l’indépendance le fer de lance de son développement, le Maroc, fervent adepte d’un partenariat interafricain créateur de richesses, a certainement une grande carte à jouer dans ce domaine. La crise alimentaire actuelle donne toute son importance à la fameuse Initiative Triple A, lancée par le Royaume à l’occasion de la COP 22 à Marrakech en 2016. Visant l’adaptation de l’agriculture africaine aux changements climatiques, cette initiative dont l’OCP est un maillon essentiel gagnerait plus que jamais à être repensée de manière à permettre à l’agriculture du continent d’amortir aussi le choc des chamboulements géopolitiques qui sont tout aussi dévastateurs.