Le Maroc en déclin démographique…

Abdellah Chankou

«Le Maroc tend vers une transition démographique accélérée» ! Et c’est le haut-commissaire au Plan Chakib Benmoussa qui le reconnaît dans une sortie médiatique mardi 17 décembre 2024 au sujet des résultats du recensement général de la population de septembre dernier. Ce dernier a révélé un nombre d’habitants de 36,8 millions d’âmes en 2024 dont 23,11 millions en milieu urbain. En cause, une baisse continue de la natalité que traduit l’Indice synthétique de la fécondité (ISF), passé de 2,5 enfants en 2004 à 2,2 en 2014 pour finir à 1,97 en 2024. Soit en-dessous du seuil de remplacement des générations qui est de 2,5 enfants par femme. Ce seuil correspond au nombre moyen d’enfants par femme nécessaire pour que chaque génération en engendre une suivante de même effectif. Autrement dit, si le remplacement n’est plus assuré, chaque génération devient moins nombreuse que la précédente, ce qui conduit à terme à une diminution de la population. En la matière, force est de constater que le Maroc, à rebours de la forte croissance démographique que connaît l’Afrique, se rapproche plutôt des standards européens (en France par exemple, l’ISF était 1,68% en 2023).

Ceux qui pensaient jusque-là que le déclin démographique est l’apanage de l’occident doivent réviser leurs croyances. A commencer par le gouvernement que cette situation inquiétante est censée interpeller et lui faire prendre le problème à bras-le-corps. Surtout que le pays du fait du recul de la natalité est confronté, à un « vieillissement de la population accélérée » souligné par la baisse de la tranche des jeunes de moins de 15 ans (28,2% en 2014 contre 26,5% en 2024) et la diminution de la population active (passée de 62,4% à 59,7%). La baisse du taux de natalité et le vieillissement de la population indiquent clairement que le Maroc est sorti du régime traditionnel marqué par des taux élevés de natalité et de mortalité pour amorcer sa transition démographique, qui est le propre des pays développés et en voie de développement. Amélioration du niveau de vie général et le désir de faire moins d’enfants (le baby crash) influencé par divers facteurs socio-économiques comme les difficultés d’élever un gosse, la crainte de perdre du pouvoir d’achat et, plus globalement, la peur de l’avenir…

La modification profonde de la pyramide démographique est un sujet sérieux au vu de ses conséquences multiples, d’ordre économiques et sociales qui impactent directement la population active, les pensions de retraite, l’âge de départ à la retraite, mais aussi les coûts de la santé… En plus de bouleverser le marché du travail via les pénuries de main d’œuvre et d’accentuer les disparités régionales déjà criardes au Maroc, ce phénomène alarmant, qui donne du fil à retordre aux dirigeants européens, pourrait freiner le taux de croissance et impacter la productivité et la compétitivité du pays. Or, la baisse de l’accroissement naturel de la population intervient à un moment crucial pour le Royaume. Celui-ci ambitionne, à coups de budgets colossaux, de recours massif à l’endettement et de mesures incitatives pour l’investissement, de changer de catégorie en lançant la politique des grands travaux ( infrastructures ) comme plate-forme de décollage économique. Toutefois, la réalité du terrain dans toutes ses facettes complexes et bien d’autres entraves risquent de compromettre cette dynamique, si les politiques publiques ne font pas rapidement leur adaptation.

Confronté à une transformation de sa pyramide démographique, pâtissant d’un manque non négligeable en capital humain qualifié, plombé par un chômage qui tourne autour de 13,7% et aux prises avec une fuite continue des « jeunes cerveaux », le Maroc doit agir en encourageant la natalité par une batterie de mesures sociales, avant que les dégâts ne deviennent irréversibles. Accoucher d’une politique volontariste et ambitieuse dans ce domaine est vital, sauf à compter davantage, sachant que le pays est déjà un pays de résidence pour des milliers de subsahariens, sur le phénomène migratoire pour compenser la baisse des naissances. Dans un monde en pleine mutation et en polycrises, les transitions déterminantes pour l’avenir sont connues. Elles sont d’ordre numérique, écologique mais aussi démographique. A bon entendeur…

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