Mais où est donc passé le mode emploi relatif au projet du nouveau modèle de développement qui a accaparé le débat national pendant plusieurs années? Présenté mardi 25 mai 2021 au Souverain par Chakib Benmoussa, le président de la commission spéciale sur le modèle de développement (CSMD), le rapport va-t-il, faute de mise en œuvre de ses principales recommandations, subir un enterrement de première classe et rejoindre le cimetière des documents, à l’image de celui du Cinquantenaire publié en 2005, qui ont eu du mal à vivre et à prospérer ? C’est au moment où les décideurs, fixés sur les défis de la nouvelle feuille de route du pays, sont censés sonner la mobilisation nationale autour du chantier de la concrétisation que le soufflet de l’enthousiasme est retombé. Curieusement. Sauf à considérer que la publication du rapport est une fin en soi ou que ses principales propositions vont s’alimenter de la force de l’inertie pour se mettre en marche, il faut se retrousser les manches pour mettre en musique les réformes salutaires nécessaires…
Passé l’effet l’enthousiasme, à la limite de l’euphorie, qui a accompagné son annonce dans le discours royal d’octobre 2017 où le souverain a appelé, à raison, «à reconsidérer notre modèle de développement pour le mettre en phase avec les évolutions que connaît le pays », puis la ferveur médiatique suscitée par le débat installé par le CSMD ainsi que le processus d’écoute et de consultations très large qu’il a initié et l’accueil globalement positif que les recommandations du rapport a rencontré auprès des différents commentateurs et acteurs du pays, un certain silence semble avoir succédé à toute cette dynamique formidable qui a fait croire à des lendemains qui chantent dans un Maroc en mouvement et rénové… Faudrait-il attribuer ce manque d’engouement au contexte pandémique persistant qui fait peser une foultitude d’incertitudes sur le pays et son avenir ou à bien à l’immensité de la tâche qu’implique la transformation profonde du pays voulue par le Souverain ? A divers niveaux, le Maroc s’est empêtré, il est vrai, à force de politiques de replâtrage et de blabla de circonstance, dans des problèmes devenus chroniques et inextricables. Dans ces conditions, tenir le bon bout n’est pas, il est vrai, une mission aisée. Mais ce n’est pas une raison pour rester les bras croisés. Bien au contraire.
Ce serait dommage que les recettes proposées par les auteurs du rapport en question et auxquelles toutes les forces vives ont souscrit sans exception ne trouvent pas le chemin de la concrétisation.
Ce serait dommage que les recettes proposées par les auteurs du rapport en question et auxquelles toutes les forces vives ont souscrit sans exception ne trouvent pas le chemin de la concrétisation. Quel gâchis que les 70 auditions et séances d’écoute citoyenne, 113 ateliers de travail, organisés dans les différentes régions du pays n’aient permis qu’à resservir comme un plat réchauffé un énième diagnostic, fut-il sans concessions, de l’état de la nation avec ses maux et ses blocages qui freinent son décollage économique !
D’ores et déjà, le résumé du rapport Benmoussa pèche par sa longueur et son caractère fastidieux là où il aurait gagné certainement à être accompagné d’un mode d’emploi pour les réformes fondatrices (à entreprendre) du nouveau modèle de développement souhaité et souhaitable. Pour plus de visibilité et de lisibilité, il aurait fallu, peut-être, énoncer les mesures phares à mettre en œuvre en les regroupant dans les décisions essentielles à adopter.
Mais le défaut le plus rédhibitoire du rapport Benmoussa vient sans conteste du fait qu’il est orphelin en ce sens qu’il n’a pas été placé après sa sortie sous l’autorité d’une instance déterminée, une institution qui incarne ses recommandations et les porte, de telle sorte qu’on puisse au moins connaître qui a la charge d’en assurer le suivi et l’exécution. Par exemple, la Commission prône entre autres mesures « la complémentarité entre un État fort et une société forte ». Comment réaliser, sauf à considérer que la dilution des responsabilités reste un mode de gouvernance commode, ce grand objectif sans préciser au préalable qui en est comptable ? Artisan du rapport, Chakib Benmoussa, nommé à la surprise générale au poste de ministre de l’Éducation nationale, était l’homme le mieux indiqué pour assurer le travail de coordination des différents éléments de son ensemble. Le risque dans ces conditions d’absence d’une autorité pour le rapport, conjuguée au caractère non contraignant de ses propositions est que cette plateforme prometteuse pour le renouveau du pays reste figée à l’état de vœu pieux. L’optimisme de commande a-t-il encore de beaux jours devant lui ?