Au Maroc, on continue à importer tout et n’importe quoi. Ça fait d’autant plus mal au cœur que dans le lot des importations figurent plusieurs produits que le pays peut usiner localement. Outre le manche à balai et les aiguilles à coudre made in China, il y a l’habit d’Ihram, qui nous vient d’Egypte, de Turquie, de Chine et d’Inde! Pourquoi importer le vêtement du pèlerin alors qu’il n’est pas difficile à fabriquer, deux pièces de serviettes blanches, le haut et le bas ? Est-ce compliqué ? Qu’est ce qui empêche d’encourager sur place la création d’usines de serviettes en coton surtout que le Maroc est reconnu pour sa capacité à reproduire des textiles de qualité à des prix compétitifs ?
Dans la même veine, les artisans marocains importent d’Italie du cuir prêt-à-l’emploi pour la fabrication des babouches tendance à 700 DH la paire…Pour un pays qui dispose largement de la matière première nécessaire sous forme de peaux de moutons, de vaches et autres caprin, ainsi que du savoir-faire en maroquinerie, cette situation ne laisse pas d’étonner. Ce qui fait défaut c’est un outillage adapté, une machinerie spécifique pour produire une matière souple, un excellent tannage et une bonne finition. Le Maroc souffre surtout de pratiques qui ont la peau dure et de postures de responsables peu entreprenants, en l’espèce le ministre de l’Industrie et son collègue de l’Artisanat, qui ne font pas du terrain, n’agissent pas là ou il faut pour lever les freins, après avoir écouté les acteurs du marché et leurs attentes.
Importer les Ihrams et le cuir transformé, pour ne citer que ces deux articles, c’est passer à côté de gisements d’emploi industriels non négligeables, créateurs de richesses et à fort potentiel d’exportation. Il est tout de même troublant de constater que l’exécutif ne porte toujours pas l’ambition de faire du Maroc une plateforme viable sur des produits made by Morocco qui sont à sa portée pour approvisionner le marché domestique et conquérir d’autres débouchés, africains, arabes et pourquoi pas occidentaux ? Le temps n’est-il pas venu pour que le pays diversifie de manière significative son offre exportable et arrête d’expédier à l’étranger, via la tomate, l’eau dont il manque cruellement?
Le temps n’est-il pas venu pour que le pays diversifie de manière significative son offre exportable et arrête d’expédier à l’étranger, via la tomate, l’eau dont il manque cruellement?
Or, le principal déterminant d’un taux de croissance soutenu, qui soit à la hauteur des atouts du royaume, se trouve sans conteste dans une industrialisation tournée vers la fabrication de tous ces biens de consommation du quotidien, qui ne demandent pas une technologie sophistiquée et dont l’importation se traduit, entre autres conséquences, par une saignée colossale en devises. D’aucuns peuvent arguer que les pouvoirs publics compensent ce manque à gagner par l’instauration des droits de douane sur les marchandises d’importation. Ce qui est vrai en termes de recettes (plus de 76 milliards de DH engrangés par l’administration des douanes à fin octobre 2024). Bien que considérables et vitales pour les caisses de l’État, ces rentrées d’argent présentent toutefois des inconvénients majeurs : appauvrissement de la production locale, recul de l’investissement et même désinvestissement dans bien des cas, aggravation du déficit public, hausse de l’inflation et freinage de l’emploi. Autrement dit, si les finances publiques gagnent en ressources substantielles, l’économie perd beaucoup en création de richesse et d’emplois. Résultat: Il devient plus rentable d’être un agent importateur qu’un producteur. Le premier ne crée pratiquement rien, sinon sa propre fortune, tandis que le second crée de l’emploi et des richesses.
Visiblement, les décideurs ont fait le choix sur le conseil du cabinet McKinsey d’être une plate-forme de sous-traitance industrielle pour le compte des constructeurs automobiles et aéronautiques. Le choix est pertinent puisqu’il a favorisé l’émergence d’écosystèmes viables avec des taux d’intégration encourageants. Mais ces deux filières, qui ont atteint leur seuil de saturation en matière de recrutement, ne sont pas suffisantes pour résorber le chômage qui a atteint des records historiques dans ce pays. Preuve, le gouvernement actuel a acquis la réputation peu flatteuse de ne pas créer assez d’emplois et même d’en détruire. Lutter efficacement contre ce phénomène structurel et offrir du travail aux 130.000 jeunes diplômés qui débarquent chaque année sur le marché de l’emploi ne se décrète pas…Ceci passe moins par le recours aux cabinets étrangers et des tableaux powerpoint aux chiffres mirifiques que par la mise en place de politiques publiques sérieuses collant à la réalité du terrain, intégrant, en synergie avec toutes les parties prenantes, un certain nombre de paramètres: une formation de qualité, l’attractivité des territoires, l’orientation de l’investissement national vers les secteurs porteurs, la diversification de l’économie et la réforme du code du travail. Ce sont ces leviers qu’il faudrait en même temps actionner en inscrivant les efforts dans une vision intégrée impliquant les départements ministériels concernés et les régions. Cette coordination est déterminante pour éviter par exemple le grand paradoxe de l’investissement public qui malgré son importance ne fait décoller ni l’emploi ni le taux de croissance.
Le système financier national a reçu fin de 2024, à la faveur de l’amnistie fiscale décidée par l’administration des impôts, une manne inespérée d’un montant de 120 milliards de DH. Cet événement exceptionnel vaut bien une mobilisation gouvernementale pour qu’une partie de ce magot, qui dormait jusque-là dans les coffre-fort, soit investie dans des projets porteurs pour l’économie nationale. Créer des riches c’est bien, créer des richesses c’est encore meilleur…
Par Abdellah Chankou