Le Mercato (italianisme signifiant «marché») désigne la période consacrée aux transferts des joueurs d’un club professionnel à un autre, spécialement dans le sport-roi. Au Maroc, le mercato, autre exception nationale, ne se limite pas seulement au foot mais il englobe aussi les élections connues pour être un moment propice à une drôle transhumance où tous les coups sont permis.
En prévision des législatives de septembre prochain, le mercato électoral s’est donc ouvert, et bat déjà son plein dans toutes les régions du pays. Nombre de députés sortants n’hésitent pas à cette occasion à changer de « club » politique pendant que les nouveaux candidats cherchent à décrocher les investitures. Et pas n’importe quelle investiture. La tête de liste est tellement convoitée que la lutte des places fait rage. Surtout que la réforme du quotient électoral (répartition des sièges sur la base des inscrits et non plus des votants) ne favorisera plus que l’élection d’un seul candidat par liste.
Là aussi, on se tâte, on discute et on négocie pour ne pas se tromper, et éviter de perdre au change. C’est au plus offrant. Vive les marchandages ! Et au diable les intérêts de la collectivité, ou même du parti ! Car le fil conducteur de ce souk aux parlementaires n’est autre que le gain personnel. Il s’agit pour les intéressés qui considèrent généralement les citoyens juste comme des voix qui leur permettent d’accéder à la députation de faire une bonne affaire en se positionnant à l’avance par rapport aux résultats du scrutin de telle sorte d’être dans l’équipe des vainqueurs. C’est-à-dire de la majorité qui est synonyme dans leurs têtes de postes, d’impunité, de privilèges et autres passe-droits…
Comme au foot, le jeu politico-électoral à la marocaine a ses stars ; ce sont généralement des professionnels des élections ou des notabilités disposant d’un bon ancrage qui ont la capacité de gagner haut la main leurs sièges ou de les reconquérir.
Comme au foot, le jeu politico-électoral à la marocaine a ses stars ; ce sont généralement des professionnels des élections ou des notabilités disposant d’un bon ancrage qui ont la capacité de gagner haut la main leurs sièges ou de les reconquérir. Valant de l’or, ceux-là sont très convoités par les directoires des partis qui leur miroitent monts et merveilles pour les convaincre de venir « jouer sous les couleurs de leur équipe ». Conscients de leur « valeur », les « Ronaldo » des élections n’hésitent pas à monter les enchères en menaçant d’aller vers le club partisan adverse s’ils n’obtiennent pas ce qu’ils demandent…
Cela ne marche pas à tous les coups. Heureusement que l’exception existe, et elle concerne une catégorie d’hommes politiques en vue ou de notabilités locales qui s’identifient tellement à leur parti d’origine et lui témoignent une fidélité sans failles qu’ils ne sont pas tentés par les offres du mercato, aussi mirifiques soient-elles.
Le mercato électoral découle du contexte national marqué par plusieurs caractéristiques. D’abord, celle-là : la majorité des Marocains votent moins pour le parti ou un programme que pour le candidat qui n’est au demeurant jamais sanctionné pour avoir changé de formation. On ne lui en veut pas pour ça alors qu’il s’agit d’un acte lourd de conséquences. On ne change pas de partis comme on change de bagnole. En principe.
Les principes ? Il ne faut pas rêver… Peu importe le sigle du parti ! L’électeur lambda a sa propre grille d’évaluation d’un candidat qui est différente de celle du citoyen occidental qui aurait du mal à comprendre qu’un homme de gauche par exemple passe avec arme et bagages dans le camp de droite…
In fine, les élections au Maroc est une affaire d’arithmétique, de nombre de sièges. Tout le reste n’est que littérature. Les chiffres ! C’est ce qui fait la différence et permet à tel parti d’être premier, et à tel autre d’arriver bon dernier. C’est pour cela que les partis privilégient dans l’octroi des investitures les candidats qu’ils jugent suffisamment outillés et experts pour remporter leurs sièges, et qui nonobstant la faiblesse de leur niveau intellectuel parviennent souvent à battre des profils intéressants. Ne soyez pas étonnés si un gardien de voitures ou un chômeur longue durée fait mordre la poussière à un médecin ou un enseignant universitaire. De pareilles situations cocasses se sont déjà produites et se produiront encore tant que les partis politiques ne décideront pas d’élever le niveau en n’accréditant que les candidats instruits et intègres qui peuvent apporter quelque chose au pays. A ce niveau-là, le temps n’est pas encore au changement. Seul compte le nombre de sièges, et pour exister sur le plan législatif tous les moyens sont bons. Vive le mercato électoral.