La politique au Maroc est-elle en train de virer au toboggan vers le banc des accusés et le séjour à l’ombre après avoir été longtemps un tremplin facile vers l’impunité et l’enrichissement illicite ? Les procès initiés pour détournements de fonds et autres formes d’incurie locale contre un paquet d’élus dont plusieurs ont été déjà embastillés le laissent fortement penser. Du coup, un vent de panique sans précédent souffle dans les rangs partisans. Loin de baisser, le débit de l’inquiétude monte crescendo à mesure que le cercle des poursuites s’élargit…Les paris sont ouverts. A qui le tour? C’est la première fois dans les annales nationales qu’une campagne de moralisation d’une telle envergure vise les titulaires indélicats des mandats électifs, qu’ils soient issus de la majorité ou de l’opposition. Tous égaux devant la justice. A en juger par le nombre de députés condamnés et écroués, l’heure du nettoyage des écuries d’Augias semble avoir bel et bien sonné. Ce qui préfigure une rupture avec l’ère de l’assainissement à la carte et des procès spectaculaires par intermittence habituels…
Figée souvent au stade de discours incantatoire , cette reddition des comptes semble cette fois-ci l’expression d’une forte volonté politique pour une réelle mise à niveau partisane par voie de justice, le seul pouvoir capable d’en accélérer l’avènement. Ayant tardé plus que de raison à cause de l’irresponsabilité d’une classe politique engluée jusqu’ à la moelle dans des pratiques clientélistes et népotiques , il fallait que l’aggiornamento salutaire tant attendu soit décrété. Le détonateur aura été certainement l’implication de deux figures du PAM dans le trafic international de drogues dures. Avec ce scandale, qui a défrayé la chronique et ébranlé le pays, la côte d’alerte semble avoir été atteinte. L’affaire est d’une extrême gravité, indiquant que la prévarication, le fameux fassad politique qui s’est propagé comme un cancer dans la pratique partisane , a franchi un nouveau palier et qu’il fallait sévir, bien et fort. On n’est plus dans les petits délits classiques, en relation avec ceux qui mettent le doigt dans le pot de confiture de l’argent public, mais dans quelque chose de bien plus grave : l’intrusion du narcotrafic dans la sphère politique. Ce trafic, lié au crime organisé, génère tellement d’argent qu’il représente un danger pour la démocratie et les institutions dont il corrompt facilement les acteurs. On a vu comment des pays comme la Colombie et le Mexique sont tombés sous l’emprise des réseaux du narcotrafic dotés de moyens supérieurs à ceux des forces de police et même parfois de l’armée….
Aujourd’hui dos au mur, voire sous pression, les partis doivent changer de logiciel, ils n’ont d’autre choix que d’assainir leurs rangs en éloignant les brebis galeuses.
Que des hommes politiques de premier plan dont le parti est de surcroît représenté au gouvernement soient impliqués dans ce business illicite n’est pas un fait anodin. C’est une sonnette d’alarme sur le début d’une dérive potentielle autrement plus dangereuse au cœur des partis, montrant par la même occasion que ceux-ci ne sont pas immunisés et qu’ils sont au contraire perméables à toutes les compromissions les moins avouables … Cette situation est sans doute consubstantielle aux profils sociologiques recrutés ces dernières années par des partis en déficit chronique de légitimité mais en quête permanente de sièges à n’importe quel prix pour gouverner. Généralement dotés en avoirs et pas en savoir, ils obtiennent sans coup férir l’investiture électorale souvent contre des sommes sonnantes et trébuchantes. Ce sont ceux-là, mis en avant au détriment des candidats de valeur qui justifient d’une compétence dans tel ou tel domaine, qui gagnent les élections haut la main et arrivent à conquérir le Parlement et les communes. Plus grave encore est le nivellement continu par le bas qui en a résulté une dégradation progressive de la qualité des élus infligés au Maroc et sa population. Sur ce plan, la régression par rapport aux institutions élues des dernières décennies est incontestable. Incapables de lire correctement un texte en aarbe, nombre de députés actuels n’ont tout simplement pas leur place sous la coupole.
Énorme paradoxe alors que le pays est arrivé, sous l’impulsion royale, à une phase cruciale où il a besoin de propulser aux commandes, aussi bien à l’échelle locale que nationale, d’une élite bien formée pour parachever son processus de développement. Or, la nation a tout à perdre avec ces opportunistes de la politique admirables d’inculture qui se servent de leurs mandats pour s’enrichir par tous les moyens, histoire de rentabiliser les millions lourds investis dans le souk électoral sous forme de banquets et achats de voix. Dans d’innombrables discours, S.M le Roi Mohammed VI a pourtant interpellé les partis sur le manquement à leurs responsabilités, tout en plaidant pour une pratique politique saine, fondée sur la compétence, l’engagement sincère et une compétition autour des programmes. Nul ne peut soutenir que le souverain n’a pas donné suffisamment de temps aux partis pour qu’ils se réorganisent, rajeunissent leurs effectifs et jouent leur rôle dans l’encadrement de la population et l’écrémage de l’élite du pays. Mais ils ont persisté dans l’autisme, préférant fonctionner avec les ficelles et les combines d’un Maroc révolu. Cette paralysie les a mis de facto en retrait par rapport à la dynamique réformatrice initiée par le souverain dans nombre de domaines dès son accession au trône en 1999, se contentant d’applaudir les instructions royales. Sans s’employer à les mettre en œuvre afin de se mettre au diapason des grands desseins qu’il nourrit pour son peuple. Aujourd’hui dos au mur, voire sous pression, les partis doivent changer de logiciel, ils n’ont d’autre choix que d’assainir leurs rangs en éloignant les brebis galeuses. Tout le défi pour cette classe politique décrédibilisée et minée par les affaires est de faire en sorte qu’elle soit attrayante pour les profils de valeur. L’avenir du pays en dépend.