Redescendons sur terre…

Pour avoir été marquée par l’épopée des Lions de l’Atlas qui ont atteint les demi-finales pour la première fois de leur histoire, la coupe du monde du Qatar sera gravée à jamais dans la mémoire collective. Un épisode d’autant plus splendide qu’il a été magnifié par la réception accordée par le Roi aux héros de tout un peuple assoiffé de joie spontanée et de motifs pour faire la fête. Dans la fierté et l’amour de la patrie.    

Ce n’est pas quelque chose qui s’oublie facilement, tant cette performance historique, il est vrai inattendue, a été conçue comme un récit héroïque propre à faire oublier toutes les déceptions et les frustrations du peuple marocain provoquées par les ratages en série de sa sélection. Vécue comme un sacre qui remet les compteurs à zéro, elle a le goût d’une  renaissance prometteuse du ballon rond national longtemps abonné aux mauvais résultats.

Le déclic semble s’être produit avec l’arrivée de Walid Regragui dont l’empreinte a profondément transformé l’état d’esprit des joueurs. Battre de grandes nations du ballon rond, l’Espagne et le Portugal, filer vers le carré d’or comme une étoile très scintillante pour tenir la dragée haute à la France de Mbappé et finir quatrième au classement, n’a rien, selon les experts, du concours de circonstances. Il relève selon eux d’un plan de jeu gagnant qu’il va falloir cependant confirmer par d’autres exploits notamment à l’échelle continentale. Célébré partout dans le monde grâce à sa prouesse qatarie aussi bien sur les plateaux télé que sur les réseaux sociaux, le foot national est désormais sous les projecteurs mondiaux, son championnat sera suivi et ses joueurs scrutés. Ce qui exige de la part des responsables des efforts soutenus en termes d’assainissement et de professionnalisation des clubs. Le Maroc est entré dans la légende comme le premier pays africain et arabe à atteindre un tel stade de la compétition. Et ce n’est pas rien. En brisant le plafond de verre (la qualification aux demi-finales aux dépens de grandes équipes de surcroît), les Lions de l’Atlas ont par ailleurs montré qu’il est possible d’aller plus loin dans le tournoi,  de ne plus se contenter de jouer les seconds couteaux du mondial et de faire du sacre le plus convoité par la planète foot  une ambition légitime pour les équipes africaines et arabes. Visiblement, l’heure de la fin du monopole européen sur le Graal a sonné.  

Il n’y a pas pire que l’autosatisfaction à outrance et cette tentation de vouloir chérir au passé en se complaisant pour longtemps encore dans  le souvenir de l’exploit du Qatar. C’est pour cela qu’il faut rapidement redescendre sur terre après  avoir vécu sur un nuage éthéré et se remettre au travail en capitalisant sur les rugissements épiques des Lions de l’Atlas.

Mais au-delà des victoires footballistiques à proprement parler,  le parcours épique des Lions de l’Atlas a fait exploser des sentiments nobles qui transcendent le foot comme moyen de divertissement populaire. L’euphorie a voyagé  au-delà des frontières nationales, créant des ambiances de folie de Casablanca à Dakar en passant par Le Caire, Doha et Gaza… et sublimé au passage un corpus de valeurs depuis longtemps tombées en désuétude en Occident. En plus des vagues de fierté  grandioses déclenchées dans les pays arabes et africains sur fond de scènes de liesses populaires sans précédent, nous avons vu, avec des milliards de téléspectateurs à travers la planète, des joueurs  marocains accourir vers les tribunes pour embrasser leurs mamans avec ferveur et se prosterner sur la pelouse à chaque victoire en signe de gratitude envers le tout-puissant. Les deux séquences, celle d’adoration de Dieu cantonnée généralement dans les mosquées et celle de la place primordiale des parents dans la société arabo-musulmane, ont pris soudainement une dimension planétaire. Pendant que certains pays occidentaux ont hissé la cause LGBT au rang de valeur suprême à défendre contre le conservatisme qatari brocardé par plusieurs médias européens, les gestes de Boufal et Hakimi embrassant la tête de leurs mamans  sont venus bousculer bien des poncifs  en jetant une lumière crue sur les valeurs fortes qui fondent l’identité des hommes en terre d’islam.  

Dans cette catharsis fabuleuse provoquée  par cette épopée, le peuple marocain, plus fier que jamais, s’est redécouvert en se réconciliant avec lui-même. Dans le regard de l’Autre, le Marocain, d’habitude excellant dans le sport de l’autoflagellation, lit subitement le respect et l’admiration. Le miroir du ballon rond renvoie de lui une image sublimée. Alors que le pays était plongé dans la déprime à cause de la sécheresse et des effets de la guerre en Ukraine qui ont mis à rude épreuve les finances publiques et affaibli le pouvoir d’achat du grand nombre, l’épopée du Onze national a radicalement changé l’humeur de toute la population ainsi que son état d’esprit. Une épopée qui s’était accompagnée par une autre excellente nouvelle, l’arrivée des pluies qui même tardives ont fait du bien à la nation. C’est gonflés à bloc par la performance historique des Lions qu’il est possible de sonner la mobilisation générale pour introduire une bonne dose de performance dans bien des secteurs qui restent à la traîne. En somme, marquer des buts contre les adversaires de la bonne gouvernance, les fans de l’opacité et les chantres du travail à moitié ou mal fait. Il n’ y a pas pire que l’autosatisfaction à outrance et cette tentation de vouloir chérir au passé en se complaisant pour longtemps encore dans  le souvenir de l’exploit du Qatar. C’est pour cela qu’il faut rapidement redescendre sur terre après  avoir vécu sur un nuage éthéré et se remettre au travail en capitalisant sur les rugissements épiques des Lions de l’Atlas.

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