Mais qui sont ces génies du deal qui ont négocié les accords liant le Maroc à un certain nombre de pays ? A commencer par les fameux ALE signés par le Royaume dans la foulée de la libéralisation du commerce mondial avec plus d’une cinquantaine d’État qui ont tourné tous à la bérézina pour le commerce extérieur national dont ils creusent depuis près de deux décennies le déficit dans des proportions ahurissantes… Cela se voit que l’administration marocaine ne dispose pas d’une équipe de négociateurs techniquement outillée, capable de négocier des contrats win-win et de défendre au mieux les intérêts de son pays.
L’ALE avec la Turquie, que Moulay Hafid Elalamy a réussi à renégocier en février 2020 pour limiter un tant soit peu les dégâts (un déficit annuel de 16 milliards de DH), a été signé en avril 2004 à Ankara dans la joie et l’allégresse par le ministre du Commerce extérieur de l’époque Mustapha Mechahouri, qui faisait partie d’une délégation ministérielle conduite par le Premier ministre Driss Jettou (C’est sous l’époque de ce dernier que fut signés également l’ALE avec les Etats-Unis). Tandis que l’Accord d’Agadir englobant les ALE avec l’Égypte, les Émirats arabes Unis, la Tunisie et la Jordanie a été signé une année plus tard par son successeur au Commerce extérieur, l’Istiqlalien Abdellatif Maâzouz, sous le gouvernement de Abbas El Fassi.
Autre preuve que les responsables marocains défendent mal les intérêts de leur pays, l’accord de pêche avec l’Union européenne. Devinez le montant de la compensation du 4ème protocole signé en février 2019 dans ce domaine entre les deux parties : A peine 50 millions d’euros par an !
Or, à la signature de ces ALE, le Maroc part déjà avec un handicap structurel de taille qui allait le désavantager durablement par rapport à ses partenaires : la faiblesse de son offre exportable. Plombée par l’absence d’un tissu industriel digne de ce nom et l’insuffisance de la valorisation dans les secteurs agricole et agroalimentaire, le Royaume ne fera rien pour enrichir cette offre et la diversifier. Sans compter l’absence d’une politique publique de soutien et d’accompagnement des entreprises potentiellement exportatrices. Absence aggravée par une non implication des fédérations professionnelles des secteurs d’activités concernés. Dès lors, le Maroc deviendra un marché facile pour ses partenaires. Y compris ceux qui ont un niveau de développement comparable comme l’Égypte et la Tunisie qui pour mieux pousser leur avantage n’hésitent pas à user de barrières non-tarifaires pour bloquer les produits marocains.
Autre preuve que les responsables marocains défendent mal les intérêts de leur pays, l’accord de pêche avec l’Union européenne. Devinez le montant de la compensation du 4ème protocole signé en février 2019 dans ce domaine entre les deux parties : A peine 50 millions d’euros par an ! Une somme dérisoire eu égard à l’importance de l’effort de pêche déployé par moins de 126 navires européens essentiellement espagnols dans les eaux territoriales nationales, Sahara compris. Une goutte d’eau dans un océan de richesse…
D’aucuns s’empresseront d’arguer qu’il s’agit d’un accord beaucoup plus politique que commercial pour expliquer la modicité de cette contrepartie financière. Mais cette considération ne justifie pas que l’on brade à ce point les ressources halieutiques nationales. Le même problème se pose pour la subvention accordée par l’UE au Maroc en échange de son rôle de gendarme de l’Europe dans la lutte contre les flux des migrants illégaux. Depuis 2018, le montant du soutien accordé à ce titre au Royaume a atteint la bagatelle de 343 millions d’euros, soit 100 millions d’euros par an! Insignifiant compte tenu des moyens colossaux déployés par Rabat pour empêcher l’arrivée des migrants clandestins sur les côtes espagnoles. Qui a fixé le montant de ces contreparties financières et sur la base de quels critères ?
Il est clair que les responsables qui ont négocié ces accords ne sont pas très conscients de la centralité du Maroc dans la politique européenne et de l’importance des enjeux qu’impliquent les deux dossiers en question. Sinon ils auraient arraché beaucoup plus à leurs partenaires européens. Le Maroc, qui doit se servir de la crise avec l’Espagne pour renégocier son partenariat avec l’UE dans sa globalité, a clairement besoin de véritables « deals makers » qui, en plus de la maîtrise de leur sujet dans toute sa complexité, ont les qualités nécessaires pour arriver à des « solutions gagnant-gagnant ». Le métier de négociateur ne s’improvise pas. Il est trop important pour le confier à de simples fonctionnaires…