Véritable feuille de route pour le gouvernement et les collectivités territoriales, l’allocution royale du 14 octobre 2022 devant le Parlement avec ses deux Chambres a mis le curseur sur les deux défis majeurs du Maroc. L’eau comme ressource vitale dont la raréfaction appelle d’urgence une véritable gouvernance et l’investissement qui a besoin d’une politique de promotion ambitieuse pour le redynamiser.
« Composante essentielle du processus de développement et une ressource indispensable à la viabilité des projets et activités productives, dans leur ensemble », l’eau souffre d’un problème de rationalisation de son usage et les ouvrages hydrauliques dont dispose le pays ne sont pas suffisants, comme l’a bien souligné le souverain, pour « régler tous les problèmes». Surtout que le déficit hydrique s’accentue d’année en année à cause des changements climatiques. D’où la nécessité d’une autre approche qui s’inscrit en rupture totale avec «toutes les formes de gaspillage ou d’exploitation anarchique et irresponsable de cette ressource vitale ». Tout un programme que le gouvernement est appelé en collaboration avec l’ensemble des parties prenantes à mettre en musique pour éviter au pays, frappé d’austérité pluviométrique, la soif qui le guette. Comme l’eau n’est plus une ressource abondante au Maroc et sous d’autres cieux, les risques de ruptures d’alimentation en eau potable ne sont pas juste une vue de l’esprit mais une réalité bien tangible. Il y a de l’eau dans le gaz !
Le Maroc saura-t-il trouver en lui les ressources nécessaires pour dépasser cette mauvaise passe hydrique ?
L’investissement est l’autre volet abordé par le souverain dans son discours devant les parlementaires. A cet égard, S.M le Roi Mohammed VI a bien tenu à spécifier la nature de l’investissement dont le pays a besoin : l’investissement productif, « en tant que levier essentiel pour la relance de l’économie nationale et l’ancrage du Maroc dans les secteurs prometteurs ». Décryptage : assez de l’économie de rente encore dominante qui dans le meilleur des cas crée des riches et non pas des richesses. Or, le pays a un besoin impérieux de création de valeur et d’emplois pour booster son taux de croissance anémique par l’investissement dans des secteurs à haute valeur ajoutée. Tout le défi pour les décideurs est d’actionner les leviers de nature à réduire le poids de l’économie de pompage excessif des ressources (hydriques, halieutiques et minières) dans la structure PIB tout en œuvrant pour faire opérer au Maroc un passage en douceur vers l’économie du savoir ou de l’immatériel. Dans ces secteurs pointus qui carburent à l’innovation, les Marocains du monde, que le souverain voudrait voir fortement impliqués dans le développement économique de leur pays, ont un rôle essentiel à jouer grâce à la mobilisation de leur savoir-faire technique ou technologique acquis dans les pays d’accueil.
Le Maroc a un besoin impérieux de création de valeur et d’emplois pour booster son taux de croissance anémique par l’investissement dans des secteurs à haute valeur ajoutée.
Cette économie du savoir qui reste à inventer viendrait renforcer une industrialisation du pays dont la crise sanitaire et la guerre en Ukraine ont montré l’importance stratégique d’assurer, en ces temps troubles et troublés, sa souveraineté économique, alimentaire et énergétique.
Le Maroc est un pays encore en friche, doté d’un potentiel de développement fabuleux. Les opportunités d’investissement existent. Encore faut-il savoir les saisir. Là réside tout le défi. La nouvelle charte de l’investissement en cours d’adoption est censée justement encourager, à coups de mesures incitatives, l’investissement privé national qui se distingue traditionnellement par sa faiblesse par rapport à l’investissement public qui représente les 2/3 du total des investissements, soit 30% du PIB alors que la moyenne mondiale se situe autour de moins de 20%. L’un des objectifs de cette nouvelle charte est d’inverser la proportion, de façon à ce que l’investissement privé devienne la locomotive qui stimule la croissance. Le grand paradoxe, c’est que le Maroc arrive en troisième position derrière la Chine et l’Inde à l’échelle des États investisseurs (par rapport à leur PIB), dépassant même des pays émergents comme la Corée du Sud, la Turquie, la Malaisie et la République Tchèque. Or, ces pays ont réussi à développer leur économie beaucoup mieux que le Royaume en donnant naissance à des fleurons industriels de premier plan.
Côté national, le dysfonctionnement principal réside justement dans le caractère timoré de l’initiative privée qui ne vient pas soutenir cet effort public colossal par des investissements conséquents dans les régions à fort potentiel économique.
Prenez par exemple, l’autoroute Casablanca-Beni-Mellal dont la réalisation a coûté plusieurs milliards de DH. Curieusement, cette infrastructure, outil-clé de désenclavement d’une zone sur le plan économique, n’a pas généré les bénéfices attendus en termes de création de projets et de d’emplois dans cette région dotée pourtant d’un fort potentiel de croissance en matière tant agricole que touristique. Question de bon sens qui se pose d’emblée ? Pourquoi Beni-Mellal n’a pas émergé comme pôle économique fort et compétitif susceptible d’attirer les jeunes en quête d’un travail ? Qu’est ce qui n’a pas fonctionné dans la chaîne des acteurs concernés par l’acte d’investir ? Absence de synergie entre le gouvernement et la région, insuffisance de mesures incitatives et d’accompagnement des investisseurs locaux potentiels ou problème de main d’œuvre qualifiée ? Il faut interroger sérieusement, histoire de rectifier le tir, ces situations paradoxales qui frappent de nombreuses régions comme Fès, l’Oriental et les provinces du Sud où l’État n’a pas eu un retour sur investissements à la hauteur des engagements financiers consentis.
L’eau c’est la vie, l’investissement productif c’est la croissance et l’emploi. La feuille de route royale sur ces deux dossiers fondamentaux coule de source…