En ces temps de flambée vertigineuse des prix des aliments y compris des légumes et des viandes, la solution serait a priori d’augmenter les salaires. Histoire de permettre aux travailleurs de récupérer le pouvoir d’achat perdu en raison de la vie de plus en plus chère. D’un point de vue syndical, voire politique, c’est la mesure à adopter pour atténuer l’impact de ces hausses sur la classe ouvrière et sauvegarder la paix sociale menacée par ce renchérissement continue des produits de base. Mais sur un plan micro-économique, la valorisation des salaires, plus complexe qu’il n’y paraît, est déconseillée. Ces deux approches différentes mettent en lumière productivité et salaires et débouchent sur cette question classique : Faut-il indexer les salaires sur la productivité ou la consommation ? Vieux débat que le wali de Bank Al Maghrib a tranché depuis longtemps. Abdellatif Jouahri est un fervent défenseur de l’école de pensée selon laquelle la hausse des salaires doit tendanciellement suivre celle de la productivité et non du coût de la vie. Certes, l’augmentation de salaire surtout le salaire minimum permet l’amélioration des conditions des ouvriers mais peut en même temps nuire, à ses yeux, au processus de croissance et saper les grands équilibres macro-économiques du pays.
Les hausses salariales induisent non seulement l’érosion des marges des patrons mais sont porteuses des pires scénarios : le risque de voir les entreprises étrangères implantées au Maroc délocaliser leurs activités dans des pays encore moins disant socialement, pratiquant des salaires encore plus bas. La plus grosse crainte étant que cela débouche sur une baisse importante des réserves de change conjuguée à une réduction de la capacité de l’économie marocaine à absorber les chocs externes. Ces défaillances structurelles dessinent les contours du scénario à l’égyptienne (dévaluation de la monnaie d’environ 50%, inflation à deux chiffres autour de 21, prêts du FMI contre programme de réformes douloureuses) vers lequel file la Tunisie de Saïed prise à la gorge par une crise économique étouffante. La situation est telle que l’Égypte et la Tunisie figurent parmi les quelques pays exposés au défaut de paiement de leur dette extérieure. Homme d’expérience et d’expertise qui en a vu d’autres, M. Jouahri est habité par l’obsession de faire éviter au Royaume un nouveau Programme d’ajustement structurel (PAS) dont il a vécu les affres douloureuses en tant qu’argentier du royaume dans les années 80. Pas question donc de passer de nouveau sous les fourches caudines des institutions de Bretton Woods.
De nombreuses entreprises regorgent de bataillons de tire-au-flanc justifiant de plusieurs années d’ancienneté que les patrons préfèrent continuer à payer plutôt que de les licencier et de devoir régler des sommes lourdes en indemnisations.
En vérité, le vrai défi se trouve ailleurs. Dans la capacité des décideurs politiques à œuvrer avec audace et imagination pour augmenter la productivité qui reste pour diverses raisons le talon d’Achille du pays. En tête des freins figure la sempiternelle question fondamentale de l’éducation-formation. Pour renverser la vapeur, il est impératif d’agir sur ce levier dont dépend l’émergence d’une main d’œuvre qualifiée qui détermine prioritairement l’acte d’investir. La productivité relève également de la responsabilité de l’entreprise via l’investissement dans la formation continue pour permettre aux collaborateurs de monter en gamme et en grade. Un salarié motivé (moralement et financièrement) est un homme productif et rentable. Et puis, Il y a le code du travail actuel qu’il faut réformer de façon à ne pas trop sacraliser le travailleur en rendant impossible son licenciement sans indemnités, même s’il est improductif et coupable d’une faute grave. Ce qui n’est pas de nature à stimuler le goût de l’effort et le désir d’efficience chez bien des employés se sentant forts des dispositions du code du travail qui en font systématiquement des victimes pour lesquelles la justice accorde des indemnités y compris pour les années passées à glander… De nombreuses entreprises regorgent de bataillons de tire-au-flanc justifiant de plusieurs années d’ancienneté que les patrons préfèrent continuer à payer plutôt que de les licencier et de devoir régler des sommes lourdes en indemnisations. Résultat : L’entreprise nationale souffre généralement de sous-encadrement du fait que de nombreux employeurs-essentiellement des PME qui constituent le gros du tissu productif- contournent ce code anti-travail traversé par des arrières-pensées et autres clichés réducteurs sur les patrons en recourant à une kyrielle d’artifices comme les emplois déguisés en stage, les contrats Anapec ou les patentés. Le salarié, dont le statut donne lieu à une série d’avantages et d’obligations patronales (Cotisations à la CNSS, Impôt sur le revenu…), devient ainsi moins attrayant, voire contreproductif pour l’entreprise. Ce qui contribue indirectement au chômage des jeunes diplômés qui viennent grossir bon an mal an les rangs de leurs aînés non insérés. Un marché de l’emploi dynamique et moderne, qui ne soit pas régi par une vision purement syndicaliste, garant d’un équilibre entre les obligations des uns et des autres (employeur et employé), est la clé de voûte de la productivité et de la performance. On en est encore loin.