Fatima Ezzahra El Mansouri : Vive le permis de construire…des bidonvilles

Fatima Ezzahra El Mansouri

Une équipe du Canard a été reçue par la  ministre de l’Aménagement du territoire national, de l’Urbanisme, de l’Habitat et de la Politique de la ville pour parler de sa stratégie ministérielle.

Quelque 120.000 bidonvilles restent encore à éradiquer au Maroc selon une récente circulaire du chef du gouvernement. Le Maroc n’en finira donc jamais avec ce phénomène ?

Réponse : Pourquoi voulez-vous qu’il en finisse une fois pour toutes ? Comme tout trafic juteux, il attire sans cesse  une armée de profiteurs  gravitant autour du monde des élections et de l’autorité locale, un monde  qui a ses piliers nuisibles mais incontournables. C’est pour cela que les bidonvilles ont pris cette fâcheuse habitude de croître et de multiplier à l’infini. La dynamique bidonvilloise est appelée à se développer  par l’exode rural que la sécheresse est en train de bien fertiliser.

C’est pour cela aussi que vous vous êtes offert votre programme d’éradication des bidonvilles 2024-2028…

Il faut bien que mon ministère se dote de sa propre stratégie d’éradication onéreuse pour faire semblant de mettre fin à  un fléau impossible à éradiquer dans un contexte où il y a plein de briques à ramasser pour l’ensemble de l’écosystème, formel et occulte.

Le premier programme villes sans bidonvilles, lancé dès 2004,  a englouti à fin juin 2024  près de 46 milliards de DH  sans en venir à bout de l’habitat insalubre. Quel sera l’apport du vôtre?

Le mien aura déjà le mérite d’exister. Et puis il permettra de redynamiser mon programme de logement social à 250.000 DH qui a  besoin de clients pour justifier sa raison d’être et  permettre aux bétonneurs et aux cimentiers, toujours aussi boulimiques, de reconstruire leur fortune.

Vous gérez un ministère tentaculaire doté de plusieurs départements. N’est-ce pas trop pour une seule femme ?

Ne vous inquiétez pas, ce sont juste des intitulés pompeux aussi creux que les logements pour les demybis  Pour être franche, j’ai du mal à exister dans un gouvernement dépourvu d’une surface politique solide…    

Le Maroc est endeuillé régulièrement par l’effondrement de certaines maisons menaçant ruine dans les médinas de certaines villes. Or, ce problème avec les drames  qu’il engendre n’en finit pas d’être posé…

Effectivement, c’est un vrai problème difficile à régler. D’où la répétition du même scénario macabre à chaque saison un peu pluvieuse. Résultat : Chaque ministre de l’Habitat a eu droit dans son bilan de façade à ses morts et ses blessés tout en restant de marbre…

Vous aussi vous ne vous êtes pas effondrée en regardant les images de la tragédie des maisons qui tombent…  

Pourquoi voulez-vous que je m’effondre et déroger à cette règle immuable ? On est tous logés à la même enseigne et cela me console et me désole à la fois. Ainsi va la fonction de ministre au Maroc. Beaucoup de blabla et très peu de choses constructives et construites.

Ce qui ne vous empêche pas de vous offrir votre stratégie révélée récemment dans les médias…

Absolument. L’un n’empêche pas l’autre. Il faut bien que je soigne le décor en faisant semblant de travailler dur et même en dur pour la relance du secteur à coups de tableaux powerpoint et de projections optimistes. 

Il faut aussi faire en sorte de favoriser le partage de la richesse ministérielle avec les cabinets qui vivent essentiellement des briques du contribuable.      

Ce qui a l’avantage de régler juste sur le papier le problème de l’habitat menaçant ruine et celui des bidonvilles…

Vous avez tout compris. C’est un éternel recommencement qui rapporte. Vive le permis de construire… des bidonvilles.

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