Une équipe du Canard est allée rencontrer le ministre de l’Emploi dans son bureau à Rabat où il tue le temps en comptant à l’aide de réglettes le nombre de personnes et d’entreprises condamnées à l’oisiveté par le coronavirus.
Êtes-vous au courant que le premier ministre est en colère contre vous et qu’il n’arrête pas de fulminer à l’évocation de votre nom…
Oui, je suis au courant. Fkih Al Othmani comme vous l’appelez au Canard voit d’un mauvais œil le fait que des ministres jeunes, beaux et dynamiques de ma qualité ouvrent la bouche. J’ai comme l’impression qu’il confond masque et muselière.
Qu’est-ce qui l’a énervé au point de vous détester ?
Que je dise que les fonctionnaires qui refusent de faire don de trois jours de leur salaire au Fonds anti-Covid-19 ont toujours la possibilité d’envoyer une demande dans ce sens à leur administration. Ce n’est qu’après que j’ai réalisé la fissure que j’ai créée ainsi dans le mur de la solidarité de la ponction pardon fonction publique…
En effet, la contribution des fonctionnaires à l’effort national à hauteur de 3 jours de leur travail contre le coronavirus est obligatoire, fruit d’un accord entre le gouvernement et les syndicats. Et là vous repassez derrière comme une fleur pour dire que ce don a un caractère facultatif…
C’est mon droit le plus absolu d’exprimer un point de vue différent. Nous sommes en démocratie de façade, non ? Je ne suis pas obligé d’applaudir à toutes les décisions approximatives de Al Othmani que je crédibilise en plus par ma petite voix dissonante…
Ce n’est pas maladroit de votre part que d’avoir ouvert la porte aux fonctionnaires de ne pas renoncer à quelques billets à un moment où des milliers de Marocains ont perdu leur emploi ?
Je dirais même que c’est une connerie politique mais ô combien constructive en ce sens où elle fait rompre le Maroc avec cette image de béni-oui-ouisme qui colle aux responsables marocains. Avec moi, la politique sera réhabilitée et les politiques respectés.
Vous avez la tête de l’Emploi…
Mieux, je me félicite d’avoir gardé mon emploi de ministre dans un contexte de flambée historique du chômage dans notre pays. Je m’en veux un peu de ne pas avoir perdu une fonction qui n’a rien d’essentiel. La vie politique est injuste. Mais je m’efforce de me rendre futile comme je peux.
Comment vous passez vos journées en ces temps de confinement ?
À compter et recompter le nombre de chômeurs et d’entreprises condamnés au chômage par le coronavirus. Je peux vous dire qu’ils se comptent par plusieurs milliers, sans oublier les millions de Marocains issus de l’informel et qui ont perdu leur gagne-pain du jour au lendemain… Compte tenu de l’étendue de la catastrophe qui est en train de fabriquer de nouveaux laissés-pour-compte par bataillons entiers, le parti que je représente a des montagnes de travail à abattre dans son unique domaine de compétence qu’est le caritatif politique.