La baisse de l’usage transactionnel de la monnaie physique à travers le monde au profit de nouveaux instruments de paiement modernes n’a en rien fait disparaître l’attrait pour l’argent liquide. En plus de son rôle dans le maintien du contact avec la réalité, il joue le rôle de valeur refuge dans un monde bourré d’incertitudes. Explications.
L’un des gros mystères financiers du Maroc a pour nom la circulation massive du cash. Le paiement en espèces a toujours le vent en poupe, rien ne semble arrêter son ascension fulgurante et caracole toujours en tête des problèmes qui turlupinent wali Bank-Al-Maghrib Abdellatif Jouahri. Celui-ci s’en est publiquement inquiété le 25 juin 2024 lors du point de presse animé à l’issue de la deuxième réunion trimestrielle du Conseil de BAM pour l’année 2024. « Le niveau de cash en circulation au Maroc a atteint environ 30% du PIB, l’un des taux les plus élevés au monde », a-t-il fait remarquer, avant de lâcher : « Ce n’est pas possible ! ». Il y a de quoi s’inquiéter: 30% de la richesse nationale équivaut à quelque 400 milliards de DH qui change de main en dehors du circuit économique. C’est énorme. Ces montagnes d’argent en liquide soulèvent bien des questions sur leur origine potentiellement douteuse que l’on peut aisément imaginer dans le contexte national. Il y a le poids considérable de l’informel dans l’économie marocaine mais aussi tous ces trafics illicites dont font partie la drogue et la corruption, réputées sources de beaucoup de liquidités dont une partie est écoulée dans des transactions commerciales.
Accusation
La demande de cash durant les deux dernières décennies a connu une croissance annuelle moyenne de l’ordre de 8%, soit le double du taux de croissance moyen du PIB sur cette même période, rapporte un document de travail rapport intitulé «Estimation du cash non transactionnel au Maroc», publié en décembre 2023 par Bank Al-Maghrib.
Pour réduire le recours à l’argent liquide dans le commerce, Abdellatif Jouahri compte sur l’introduction de la monnaie digitale, le e-dirham, encore au stade de projet, comme solution pour juguler le phénomène.
Or, l’attrait pour le cash n’est pas l’apanage du Maroc. Loin s’en faut. Il n’a rien perdu de son attrait y compris en Occident où le cash est considéré comme suspect en raison de l’accusation qui lui est collée d’être une source de financement du terrorisme et d’autres formes de criminalité du fait de l’anonymat qu’il procure. Malgré la numérisation croissante qui a révolutionné les méthodes de paiement, rendant les processus de plus en plus rapides, contact et sans numéraire, le cash a du mal à disparaître des habitudes de consommation. D’après la Banque centrale européenne, le volume d’espèces en circulation dans la zone euro a été multiplié par 2,3, passant de 700 milliards fin 2007 à 1.600 milliards fin 2023. Le même phénomène touche les États-Unis où la Fed fait état d’un triplement du le volume de dollars américains, passant de 820 à 2.333 milliards. Si l’on rapporte ces masses de cash en circulation au PIB, le constat est le même : le ratio a presque triplé en Europe (de 5 à 13 % du PIB), il a grimpé de 50 % aux États-Unis (9 % du PIB contre 6 %) et de 77 % au Japon (23 % du PIB contre 13 %). En France, l’enquête annuelle réalisée par l’Ifop pour la Monnaie de Paris révèle que 83 % des sondés se déclarent « attachés aux espèces », une proportion en hausse par rapport à 2022 (79%). Même engouement en Espagne ou en Allemagne pour la monnaie fiduciaire , qui a le vent en poupe aussi dans des pays où son utilisation a connu une forte baisse. C’est le cas des Néerlandais qui sont 91% ( contre 95% pour les Finlandais) à considérer comme important la possibilité de payer en espèces. Aux États-Unis, 93 % des Américains interrogés par la Fed n’ont « pas l’intention d’arrêter d’utiliser le cash à l’avenir » tandis que 90 % des Canadiens sondés disent ne pas souhaiter aller vers un monde « cashless ».
La raison de cet attachement fort au cash est à chercher dans un seul vocable : la confiance. La monnaie physique, qui est la seule à être dotée d’un cours légal, est aussi la seule forme de monnaie publique accessible aux citoyens. La garantie qu’offre la signature de l’Etat ou de la banque centrale conserve la même force symbolique d’antan malgré les progrès technologiques fabuleux réalisés dans le domaine du paiement. Dans un monde instable et plein d’incertitudes, l’argent liquide joue, a l’instar de l’or, un rôle de valeur refuge. Il suit de là que la fin de l’argent liquide, comme l’on prédit les experts, n’est pas pour demain et qu’il faut bien composer avec la monnaie fiduciaire. Au Maroc, le recours massif au cash peut s’expliquer par une série de facteurs. Outre un facteur culturel en relation avec la mentalité du Marocain qui aime manipuler le cash, l’argent liquide lui procure un sentiment de sécurité par rapport aux autres moyens de paiements électroniques, réputés sujets à la fraude. A l’ère de la digitalisation et des transactions dématérialisées, cette méfiance dans la technologie est préjudiciable à plus d’un titre. Au Maroc, elle a surtout empêché l’émergence du mobile money.
Inclusion financière
Processus qui allie la technologie de l’information et les services du type microfinancier, le portefeuille électronique présente de multiples avantages. A commencer par le fait qu’il n’est plus obligatoire de détenir un compte bancaire classique pour réaliser en temps réel à partir de son portable, un paiement ou un transfert d’argent, régler des factures, récupérer du cash ou le conserver en ligne. En somme, le numéro du téléphone fait office de numéro de compte. En 2018, Bank Al Maghrib, lance “M-Wallet” en collaboration avec l’Agence nationale de réglementation des télécommunications (ANRT) pour réduire justement la circulation du cash dans le circuit économique. Mais le nombre de ces portefeuilles n’est pas à la hauteur des espérances des autorités monétaires, quelque 8 millions à ce jour. C’est un peu la douche froide chez les dirigeants de Bank Al- Maghrib qui avaient vu dans le désenclavement numérique de la population (les téléphones mobiles sont plus nombreux que les comptes bancaires) un excellent levier pour développer l’inclusion financière. Mais ce qui pose surtout problème au Maroc c’est la faiblesse de l’usage des mobile banking au quotidien à l’inverse de l’Afrique où ce mode de paiement connaît un essor fulgurant. Dans de nombreux pays du continent, la population surtout celle qui ne dispose pas d’un compte bancaire, s’est appropriée le mobile money pour en faire son mode de paiement privilégié (voir encadré). Cet engouement pour les solutions de mobile banking a pallié la grande faiblesse du taux de bancarisation des Africains, ce qui a grandement contribué à leur inclusion financière. Selon la Banque mondiale, l’exclusion bancaire est dans bien des cas un facteur de ralentissement de la dynamique économique d’une région. Diverses études de cette institution montrent, qu’ « un meilleur accès au système financier peut favoriser la création d’emplois, renforcer l’investissement et permettre aux populations les plus pauvres d’absorber les chocs financiers »
Au Maroc, le potentiel est là. Il suffit juste de savoir l’exploiter. Un effort conséquent en communication et marketing de la part des banques est essentiel. Objectif: agir progressivement sur les habitudes et faire sauter les différents verrous qui empêchent la limitation de la circulation du cash.
Mobile money : L’Afrique en bon élève
L’Afrique de l’Est a toujours été un bastion du mobile money, avec une adoption précoce et une croissance rapide. Cependant, ce n’est pas la seule région où l’on observe une forte croissance sur le continent : en 2018, l’Afrique de l’Ouest était devenue l’une des régions à la croissance la plus rapide pour le mobile money. Des pays comme le Ghana et la Côte d’Ivoire sont à l’origine d’une grande partie de cette croissance. En 2020, l’Afrique de l’Ouest comptait presque autant de nouveaux comptes enregistrés (21 millions) que l’Afrique de l’Est (22 millions). Les comptes actifs ont également augmenté, entraînant une augmentation progressive des taux d’activité entre 2018 et 2022 pour approcher le taux d’activité moyen de 28,5 % en Afrique subsaharienne (graphique 1). L’adoption et l’utilisation du mobile money ont considérablement augmenté en Afrique de l’Ouest, en particulier par rapport au reste du monde. En 2022, l’Afrique de l’Ouest présentait le plus grand nombre de nouveaux comptes de toutes les sous-régions du monde (graphique 2). Dans la région, cette croissance peut être largement attribuée à plusieurs pays clés : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Mali et le Sénégal ont tous connu une augmentation de l’adoption et de l’utilisation des comptes de mobile money. La pénétration de la téléphonie mobile et le faible accès aux services bancaires ont contribué à la croissance du mobile money sur ces marchés. L’introduction de la licence « payment service bank » ( PSB) a eu un impact significatif au Nigeria, où l’utilisation du mobile money a également augmenté de façon régulière.
La croissance annuelle des comptes actifs sur une base de 30 jours en Afrique de l’Ouest a augmenté presque chaque année depuis 2018 (graphique 3). Entre 2021 et 2022, les comptes actifs ont augmenté plus rapidement (25 % en glissement annuel) que les comptes enregistrés (21 % en glissement annuel). Cela signifie que non seulement de plus en plus de personnes ouvrent des comptes de mobile money, mais que beaucoup de ceux qui se sont inscrits les utilisent activement pour leurs besoins quotidiens. Ce chiffre est en augmentation.
La croissance mondiale des agents de mobile money a été principalement tirée par une augmentation significative du nombre d’agents en Afrique de l’Ouest. En 2022, le nombre d’agents enregistrés dans le monde a atteint 17 millions, soit une augmentation de 41 % d’une année sur l’autre. Cette croissance a porté le nombre d’agents actifs à 7,2 millions en 2022, soit une augmentation de 25 % d’une année sur l’autre. L’essentiel de cette croissance provient de l’Afrique subsaharienne, où les points de vente des agents ont presque doublé d’une année sur l’autre. Cela s’explique principalement par une augmentation significative du nombre d’agents en Afrique de l’Ouest (graphique 3), où plusieurs nouveaux services d’argent mobile ont été lancés au Nigeria, sous l’impulsion du nouveau régime d’octroi de licences du pays.
Les volumes de transactions ont augmenté plus rapidement d’une année sur l’autre en Afrique de l’Ouest qu’en Afrique de l’Est, tandis que les valeurs des transactions ont augmenté à un rythme similaire à la moyenne mondiale. Dans toute l’Afrique subsaharienne, les volumes de transactions ont augmenté d’environ 21 % pour atteindre environ 45 000 milliards entre 2021 et 2022. En Afrique de l’Est, les volumes de transactions ont augmenté de 18 % en glissement annuel, tandis que les volumes en Afrique de l’Ouest ont augmenté de près d’un tiers pour atteindre environ 12 milliards en 2022. Alors que la valeur des transactions en Afrique de l’Est a augmenté de 23 % d’une année sur l’autre, la croissance en Afrique de l’Ouest a été de 22 % (de 239 milliards de dollars USD en 2021 à 277 milliards de dollars USD en 2022). Étant donné que la croissance du volume des transactions a été plus élevée en Afrique de l’Ouest, cela signifie que de nombreuses transactions en Afrique de l’Ouest sont d’un montant inférieur à celui de l’Afrique de l’Est. Le potentiel du mobile money pour l’inclusion financière en Afrique de l’Ouest est énorme, mais pas sans défis. En effet, entre 2017 et 2021, le Bénin, la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Sénégal et le Togo ont tous connu une augmentation du nombre d’adultes ayant accès aux services financiers, principalement grâce au mobile money. Cependant, l’industrie est confrontée à une concurrence importante de la fintech sur des marchés tels que le Nigeria et le Sénégal. Cela a obligé plusieurs fournisseurs à adapter leurs produits ou leur stratégie. Malgré cela, le mobile money reste un moyen abordable, fiable et pratique pour des millions d’utilisateurs d’accéder aux services financiers. La croissance du mobile money montre une forte demande pour les services financiers numériques, offrant aux fournisseurs une opportunité claire d’élargir leur potentiel d’utilisation et leur clientèle.
Source : Portail Findev