Au Maroc, nombre de médecins pensent sans doute qu’un bon patient est celui qui sait être patient au-delà du supportable ! Et au diable, la ponctualité qui est pour eux aussi insignifiante qu’un sparadrap usé !
Vous avez un rendez-vous réservé avec votre médecin à midi tapante? Vous débarquez toujours à l’avance au cas où. Mais votre respect de l’heure du rendez-vous ne vous est d’aucune utilité puisque vous êtes très souvent obligé de perdre du temps dans la salle d’attente. Attendre un quart d’heure ou 30 minutes ce n’est pas la mer à boire. L’exaspération monte toutefois lorsque l’attente se situe autour d’une heure et parfois au-delà. Dans cette affaire, tout se passe comme si seul le temps du médecin comptait. Pas le vôtre ! Une situation scandaleuse qui est le lot quotidien de la patientèle. Arrogance ? Mépris du client ? Désorganisation? Considérant que faire le pied de grue chez leurs médecins pendant des heures et des heures était une chose normale, de nombreux clients ne rouspètent même pas. Préférant subir sans moufter. Si un adage dont l’auteur est anonyme dit que la ponctualité est la politesse des rois, le retard est le symptôme le mieux partagé par les professionnels de la santé. Ici, ne sont pas mis en cause les praticiens qui comme tout un chacun ont des contretemps susceptibles de les empêcher de venir à l’heure à leur cabinet ou ceux qui ont des urgences médicales comme une opération chirurgicale qui prend plus de temps que prévu. Ces choses-là sont compréhensibles. Non, les médecins dont il est question ici – et ils sont légion – sont ceux qui, en pleine consultation dans leurs cabinets font sciemment remplir leur salle d’attente, au mépris de toutes les règles de gestion ou de bienséance, pour générer du chiffre et gagner plus au détriment du temps des patients. D’où les retards systématiques et les attentes interminables qui durent plus que de raison. Avec comme conséquence inévitable l’empiètement sur le temps des uns et des autres. Au lieu de faire par exemple 30 consultations de 15 minutes en moyenne par jour et bien traiter ses clients sans leur faire perdre leur temps, bien des médecins acceptent de prendre le double, voire beaucoup plus. Avec une telle façon de faire, la ponctualité relève évidemment de la mission impossible. Un médecin de Casablanca, visiblement adepte chronique du poireautage, a poussé l’impudence jusqu’à accrocher sur le mur de sa salle d’attente, toujours pleine à craquer, cette belle phrase en arabe : profitez du temps d’attente pour vous livrer à l’évocation de Dieu (Dikr Allah). Non seulement celui-là se permet de vous faire lanterner mais il s’autorise par-dessus-le marché de vous indiquer de le faire dans la piété! Sacré docteur !
Mentalité
Chez nombre de médecins, « faire lanterner » le patient masque souvent un stratagème qui leur permet de faire d’une pierre deux coups. D’un côté, se faire plus de blé que ne le permet une journée normale d’un médecin consciencieux, et de l’autre ériger l’encombrement des salles d’attente en argument de qualité de la prestation dans le droit fil de la mentalité du Marocain lambda : là où il y a foule, que ce soit chez le médecin, le boucher ou le vendeur du beignet du coin, il y a forcément un service de qualité ou un produit de haute facture. Le bouche-à-oreille, qu’il soit spontané ou encouragé, se charge de propager entre les gens ces avis positifs qui ne sont fondés au demeurant sur aucun critère objectif ! C’est ainsi que par effet de recommandation des réputations sont faites ou plutôt surfaites sur des bases tout ce qu’il y a de subjectif alors que le peuplement des salles d’attente n’est pas forcément le signe que « le médecin est bon ou compétent ». Bien au contraire… Or, un médecin est supposé organiser ses rendez-vous médicaux dans l’efficacité et le respect en prévoyant, en fonction de la nature de sa spécialité et de sa spécificité, des plages horaires de durée moyenne de chaque consultation. Chose que certains médecins réussissent à mieux gérer, ce qui leur permet d’avoir une salle d’attente pratiquement vide, le malade ayant fini sa consultation quitte le cabinet sans croiser le suivant, aidés de plus en plus en cela par des plates-formes comme DabaDoc dont le rôle est de vous faire trouver un médecin à portée de clic et de réserver une consultation en ligne sur un créneau horaire précis. Censés faciliter la vie des médecins et organiser leur travail, ces logiciels de gestion des rendez-vous médicaux se heurtent souvent, sur le terrain, au problème de ponctualité dans les cabinets, où se retrouvent des patients qui ne passent pas à l’heure réservée. C’est une fois sur place qu’ils découvrent que d’autres personnes sont arrivées avant eux et qu’ils doivent par conséquent prendre leur mal en patience. Sans aucune explication. Or, dans le contrat liant le médecin à la plate-forme en question, celui-ci est tenu d’aviser le patient à l’avance via son assistante au cas où il lui serait impossible de le recevoir à l’heure dite. C’est ainsi que la technologie, visant entre autres à optimiser la gestion du temps de chacun, est vidée de son sens par des pratiques qui ont la peau dure.
Établir une relation de respect et de confiance entre le médecin et le patient ne se décrète pas. Elle se construit dans la transparence et la rigueur. Mais encore faut-il le vouloir. Veiller à être constamment dans cet état d’esprit porteur de considération vis-à-vis du patient et qui suppose de ne pas être trop boulimique. Ce qu’il faut savoir aussi c’est que les médecins qui jouent les remplisseurs invétérés de leurs salles d’attente gagnent de l’argent en excès au détriment parfois de leurs confrères qui se tournent les pouces faute de clientèle.