Les banques participatives sont confrontées à un problèmes de perception

Abderrahmane Lahlou, Président de l’Académie de Finance participative

Président de l’Académie de Finance participative, Abderrahmane Lahlou livre dans cet entretien une lecture experte du bilan d’étape des établissements de la finance alternative.

Le Canard Libéré : Comment se porte la finance participative au Maroc depuis la création il y a près de 6 ans  d’un certain nombre de filiales par les grandes banques de la place? On dirait que le soufflet de l’enthousiasme qui avait accompagné leur avènement est retombé?  

Il est certain que l’enthousiasme chez les opérateurs s’est estompé, après qu’ils se soient représenté un secteur chargé de mystères et d’opportunités. Les mystères résidaient pour les banques mères dans la méconnaissance technique du secteur, mais à travers six années de pratique, ledit secteur a dévoilé tous ses secrets et les nouveaux banquiers sont progressivement entrés dans leur zone de confort. Quant aux opportunités, elles avaient été surestimées et cela s’était traduit par des Business Plan très optimistes. Aujourd’hui, la rentabilité prévue n’est pas au rendez-vous, malgré une production en croissance continue. Le bon comportement de la courbe de production est redevable justement à l’enthousiasme des clients qui  ne s’est pas estompé. Bien sûr, les taux de croissance des financements n’est plus à 45% par an, mais il ne passe pas encore sous la barre des 28% à l’heure actuelle. Disons que la courbe se rapproche de son niveau de maturité.

En tant qu’expert reconnu du secteur, quel bilan dressez-vous de l’activité de cette finance? Les résultats sont-ils à la hauteur des attentes des promoteurs de cette activité en termes aussi bien de dépôts des clients que de financement de leurs projets?

A fin 2022, l’état des lieux de la Banque et aussi de la Finance Participative, parce qu’il n’y a pas que les banques, se présente ainsi : 8 établissements bancaires, en plus d’une fenêtre de garantie de financement participatif, 4 compagnies d’assurance Takaful, une fenêtre re-Takaful, 3 institutions opérant sur le marché des capitaux, autorisées à émettre des Sukuk de financement privé, en plus de l’émission souveraine de 2018. Les chiffres de la banque participative au 31 décembre 2022 font état de 189 agences ouvertes (3% du nombre d’agences bancaires au Maroc), 182 000 comptes bancaires (1% du nombre de comptes bancaires), 9,3 MM Dhs de total des dépôts, (0,8% du total des dépôts bancaires), dont 2,3 MM Dhs de dépôts d’investissement, 23,6 MM Dhs de financement total (y compris marges Mourabaha) et 5,2 MM Dhs de WBI pour le secteur en décembre 2022, (39% du total des ressources disponibles)

Dans le segment de l’activité bancaire, ce qui n’a pas marché avec les attentes, c’est le taux de couverture du financement par les dépôts, qui est plus faible qu’attendu. Il est de 38% alors qu’il est environ de 100% chez les banques conventionnelles.

Dans d’autres pays voisins, les taux sont proches de 90%. La raison est liée au fait que les clients ont beaucoup plus d’appétence pour lever des financements que pour déposer leurs fonds.

Qu’en est-il des chiffres  de l’assurance Takaful ?

Les chiffres de l’assurance Takaful en fin 2022 font apparaître 12 millions Dhs de primes. Ce chiffre d’affaires provient principalement de la couverture a posteriori des contrats Mourabaha immobiliers octroyés par les banques participatives depuis 2017. Le chiffre est encore très faible puisque le sous-secteur du Takaful en est encore  à ses débuts. Il ne représente que 0,022% du marché national, qui est estimé à 54,5MM Dhs.

Cette activité a d’abord servi à combler les défauts de couverture des risques des contrats de financement de logements et bien immobiliers en Mourabaha, qui se sont cumulés depuis 2017. C’est une opération en voie de réussite puisque le stock couvert avoisine 60% des contrats de financement octroyés.

En seconde étape, les banques participatives agréées pour vendre des produits de Bancatakaful, ainsi que les intermédiaires se préparent déjà à attaquer le marché des particuliers et des entreprises pour placer des contrats d’assurance Takaful de Multirisques bâtiments ou d’assurance vie. Plus tard, des produits d’épargne conformes à la Charia seront également proposés au public.

Sur les marchés des capitaux, les réalisations et perspectives se limitent à l’émission de Sukuk souverain en 2018, pour un montant de 1 milliard de Dhs. La seconde émission est attendue pour fin 2023.

En outre, la révision prochaine de la loi relative aux OPCVM et OPCC va ouvrir la voie aux placements des Investisseurs institutionnels et des particuliers dans des formats compatibles avec la Charia.

Le financement en Capital investissement par les fonds d’investissement via des sociétés de gestion va permettre de financer le haut du bilan des PME dans des thématiques particulières. C’est un financement dans les conditions de la Moucharaka, qui est très complémentaire en termes de montage financier.

Quels sont les crédits les plus demandés par les adeptes de la finance participative ? Les prêts  immobiliers, automobile, consommation ou création d’entreprises et investissement?

L’immobilier Mourabaha représente 87% du montant total des financements, le financement de véhicules en Mourabaha 6% contre 7% pour  l’équipement industriel ou professionnel financé en Mourabaha.

Cette ventilation  correspond bien au profil type de la classe moyenne marocaine.  Dans le financement conforme à la Charia portant par exemple sur la Mourabaha, on ne prête pas à l’entreprise en créditant son compte mais qu’on achète pour son compte moyennant une revente à tempérament incluant une marge commerciale ferme et irrévocable, qui tient compte de l’échéance arrêtée pour le remboursement. Pour l’Ijara, ce principe est encore plus manifeste. C’est ainsi qu’on finance directement la création de valeur par les producteurs économiques.

Selon vous, la finance participative au Maroc se heurte-t-elle encore à des freins d’ordre institutionnel ou est-elle victime d’un problème de perception par la population ?

De mon point de vue qui rejoint aussi  celui  des observateurs, il n’y a pas vraiment de frein institutionnel. Le parachèvement du dispositif juridique et réglementaire du système financier participatif avant le lancement des institutions est à mettre à l’actif des acteurs institutionnels qui n’ont pas fait le choix de nombreux pays islamiques de se contenter de circulaires et d’instructions réglementaires pendant des années avant que les lois ne soient promulguées.

Le choix du Maroc, bien qu’il ait entraîné des latences et des retards dans le lancement de l’activité des institutions financières, qui ont valu des critiques aux autorités de tutelle, a permis le lancement d’activité financière basée sur un dispositif législatif robuste, complet et précis, bénéficiant de l’expérience juridique accumulée du secteur financier conventionnel. Cette démarche a permis d’emblée l’intégration des dispositions légales des institutions financières participatives dans les textes juridiques généraux pour les banques, les assurances et la titrisation.

En revanche, le problème de perception par la population est bel et bien là. Aujourd’hui, il est avéré, semble-t-il, que les clients perçoivent davantage les Banques participatives comme des sociétés de financement que comme des banques universelles, utilisées comme banques au quotidien, avec leurs différents  corollaires que sont  les dépôts, les retraits d’argent, les domiciliations de salaires, les carnets de chèques et autres cartes bancaires, etc. En termes de marketing, nous sommes face à une distorsion de perception.

Quelles sont les actions qu’il convient d’entreprendre pour changer cet état de fait afin  que la finance participative trouve, le cas échéant,  la place qu’elle mérite dans le paysage bancaire national ?

Il faut d’abord rappeler que les Banques participatives, de par leur création récente,  constituent un secteur encore jeune, avec 8 institutions bancaires, une demi-douzaine de compagnies d’Assurance Takaful et quelques établissements opérant sur le marché des capitaux. Mais ce secteur peut être utile pour ces milliers de TPE et PME, dont 40% ne recourent pas aux crédits bancaires classiques.

Dans cette catégorie, quelque 58,2% expliquent leur décision par des considérations religieuses, si l’on en croit  la dernière étude d’ABWAB. Cette population d’entrepreneurs représente un vrai vivier  et un gisement non négligeable pour les Banques Participatives. Il y a là assurément du travail à accomplir et des actions à entreprendre pour atteindre une bancarisation optimale  aussi bien des particuliers que des entreprises. L’argent thésaurisé ou immobilisé dans du foncier peut connaître une intégration utile dans le circuit économique productif. Il y a aussi l’émergence d’initiatives de création ou d’extension d’activités économiques, et enfin, l’attrait de capitaux étrangers  issus de pays musulmans qui n’investissaient pas au Maroc faute de banque islamique pour le dépôt et la gestion de leur fonds.

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