L’insolence des cafetiers

Le respect de la loi n'est pas la tasse de thé du lobby des cafetiers...

Au lieu de se faire tout petit en raison de la violation des droits de leurs employés, les propriétaires des cafés, qui évoluent dans un secteur de rente juteux, sont montés au créneau à plusieurs reprises pour réclamer sans vergogne le soutien de l’État. Décryptage…

Les cafés et leurs terrasses seront déserts pendant ce mois de Ramadan, couvre-feu nocturne oblige. Ce qui signifie une perte sèche pour les propriétaires dont les représentants sont montés au créneau pour dénoncer une décision fatale pour leur activité. Tout à leur colère, ils ont même pensé initier un mouvement de protestation vendredi 9 avril avant d’y renoncer suite aux promesses de l’administration des impôts de leur accorder des facilités fiscales sous forme d’annulation de toutes les amendes et pénalités de retard accumulés par les intéressés en raison des mesures restrictives liées à la crise sanitaire.

Celle-ci a révélé un certain nombre de choses pour le moins étonnantes. Par exemple, la grande capacité d’agitation de cette corporation qui a su médiatiser sa cause au-delà du raisonnable. Mais aussi la précarité des employés des cafés dont l’écrasante majorité n’est pas déclarée à la CNSS ! Voilà une activité hautement juteuse qui génère beaucoup d’argent et dont les patrons bien qu’ils soient hors la loi s’enhardissent à critiquer les décisions gouvernementales et à réclamer sans vergogne des plans d’aide. Mieux, ils arrivent même par l’on ne sait quelle alchimie à décrocher des réunions avec les représentants de l’État. Or l’immatriculation des employés à la CNSS est une obligation légale et ne pas le faire est passible de prison.

Or, tout se passe comme si les cafetiers avaient, eux, le privilège de ne pas se soumettre à la loi et de refuser ce droit à leurs serveurs.  Or, ce n’est pas la mer à boire, la plupart des cafés tournant avec 1 ou 3 serveurs qui, payés en dessous du SMIG, vivent généralement de la générosité des clients pendant que les dirhams de la recette journalière, assez substantielle, font sonner en continu le tiroir-caisse. Trop gourmands les cafetiers ! Signe que ce commerce, source de cash, est un filon très rentable, les cafés poussent comme des champignons au point qu’entre un café et un café, il y a un café et certains investissent quelques milliards rien que dans l’achat du local qu’ils aménagent en café dont les prix des produits proposés sont souvent exagérés. Selon le standing du café et son emplacement, une tasse de café oscille entre 10 et 25 DH alors que le meilleur du café en grain qui ne dépasse pas 120 DH le kg (arabica) donne entre 80 et 120 doses.

Faites le calcul. Tout bénéf. C’est l’une des meilleures affaires du Maroc et ses bénéficiaires se permettent par-dessus le marché de sous-rémunérer leur personnel et de ne pas lui payer ses cotisations sociales… Les cafetiers qui s’offrent ainsi le beurre et l’argent du beurre ainsi que le sourire de la laitière représentent-ils un lobby puissant au-dessus des lois ? Les serveurs non déclarés étant les principales victimes de la fermeture de leurs lieux de travail, le gouvernement a invité gentiment les patrons à immatriculer leurs employés à la Caisse pour les faire bénéficier de l’indemnité forfaitaire de 2.000 DH par mois, financée par le Fonds spécial Covid-19. Mais la majorité des propriétaires ont fait la fine bouche, rechignant à mettre la main à la poche pour rétablir leur personnel dans ses droits à la protection sociale. Les pouvoirs publics les ménagent curieusement trop là où ils devraient agir pour sanctionner la violation de loi dont ils sont coupables.

Les chiffres communiqués à la presse par les opérateurs du secteur font état de quelque 250.000 cafés et restaurants au Maroc. Or, ces statistiques sont en grand décalage avec les chiffres des employés des cafés immatriculés réellement à la CNSS qui ont été au nombre de 35.556 en 2020, alors que la main-d’œuvre des restaurants toutes catégories confondues tourne autour de 54.000 personnes. Moralité : On se gave bien et en toute impunité dans l’informel…

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