Ramadan entre sacré, sucré et salé…

Censé être le mois d’abstinence et de piété, le Ramadan a été transformé depuis longtemps, par nombre de jeûneurs, en mois de tous les excès, notamment alimentaires. Ce qui est antinomique avec les objectifs de ce mois sacré.

D’où provient cette allégorie ramadanesque collant à la peau des Marocains à chaque mois sacré que Dieu fait ? Les galéjades ne manquent pas pour dépeindre le menu typique des citadins de notre pays lors de la rupture du jeûne : un f’tour XXL qui débute usuellement par des dattes et un verre de lait conformément à la sunna du Prophète mais qui, une fois ces derniers entassés dans une panse désemplie depuis la veille, prend des  allures pas très saines : «harira» à l’assaisonnement hétéroclite, «chebbakiya» et «briwate» aux mille et un ingrédients, crêpes et fameux mlaoui au beurre et au miel, viennoiseries bourrées de margarine et tutti quanti … Tout un fatras de provendes accompagnées de verres de thé à la menthe ou de jus de fruits industriels pour ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir des fruits frais.  Résultat des courses : une vraie pagaille alimentaire. A y regarder de plus près, le menu-type du Marocain qu’il soit lambda ou non, sauf à être un inconditionnel d’un f’tour bio qui commence à avoir le vent en poupe, est composé essentiellement de farine, sucre et huile. Valeur ajoutée nutritionnelle avoisinant zéro ou presque.

Nourriture spirituelle

Plus grave encore, le jeûneur avale ces différents aliments en un laps de temps très court, ce qui représente souvent le double, voire le triple de ce qu’il mange en temps normal. Ce qui n’est pas le but du Ramadan. Bien au contraire. Incapables de manger tout ce qu’ils mettent à table, les Marocains – qui mangent d’abord comme on dit avec les yeux- deviennent pendant cette période les champions du gaspillage alimentaire.

Il n’y a qu’à jeter un coup d’œil aux poubelles qui débordent pour constater les quantités énormes de victuailles jetées, essentiellement à base de farine. Un phénomène qui touche toutes les strates de la société y compris les moins nantis. Ces orgies alimentaires vont la plupart du temps de pair avec le gaspillage, chose que la religion musulmane interdit formellement. Sans conteste, les Marocains se vantent de disposer d’une gastronomie extrêmement délectable, aux influences locales et régionales intimement liées à l’histoire et aux coutumes du pays et dont ils conservent jalousement les brevets de préparation. A telle enseigne qu’en 2015, celle-ci a été classée deuxième meilleure cuisine au monde par le site britannique Worldsim. Soit.

Cela justifie-t-il pour autant de faire de ce mois sacré un prétexte pour festoyer en communion comme en d’autres circonstances annuelles telle que la fête du sacrifice ? D’un point de vue religieux, le Ramadan est censé être orienté vers la nourriture spirituelle, dans le sens du rapprochement de l’homme de son créateur. Mois de l’abstinence et de l’endurance, il est supposé aussi être propice au partage avec les autres – pas sur les réseaux sociaux – tout en permettant au musulman de prendre le recul nécessaire pour une bonne auto-évaluation cultuelle. Côté santé, le jeûne a la réputation d’être une excellente thérapie ; en ce sens que la privation volontaire de nourriture du lever au coucher du soleil permet de nettoyer l’organisme des toxines et aux organes de digestion de se reposer. Une espèce de vidange salutaire, démontrée scientifiquement, qui favorise l’auto guérison et la régénération.

Privilégier la qualité

Gagner la mosquée, le ventre ballonné après un f’tour très copieux n’est guère de nature à favoriser la symbiose séraphique qui doit solennellement transcender un musulman durant sa prière de « l’Ichaâ » notamment, car celle-ci se prolonge chaque soir, en ce neuvième mois du calendrier de l’Hégire, par les fameuses prières des «Tarawih». Certains courants éclaireurs ont, à travers les âges, essayé de remédier à cette antinomie avec les percepts de base de la religion. Des écoles de pensée, à la portée ascétique et purificatrice, continuent à inciter les musulmans à faire du «Mois saint par excellence» une mise en condition pour une réflexion intérieure et une dévotion annihilant toute tentation de gourmandise. Force est de constater que ces doctrines mâtinées de sagesse, naguère présentées comme ésotériques car ne s’occupant guère des affaires du monde réel, trouvent tout leur sens durant le mois de Ramadan. Il est scientifiquement avéré que le déphasage brusque que subit le système digestif lors d’un f’tour dérégulé et « à volonté » affecte tout le métabolisme humain. Pis encore, le surpoids dont de nombreuses personnes sont victimes après un mois de jeûne pourtant assidu ne cesse de donner du fil à retordre aux spécialistes de la nutrition. Selon les recommandations de l’Islam, il faudrait rompre le jeûne avec de l’eau ou du lait à température tiède pour réhydrater l’organisme, ensuite manger sucré afin de ravitailler le corps et lui donner rapidement de l’énergie. Ensuite, un bol de « harira », tout en se gardant du surplus, ne saurait porter préjudice au système digestif. Sans jamais perdre de vue que la qualité d’un f’tour, censé juste apaiser les sensations de soif et de faim, est liée à la qualité des aliments et non à leur quantité. Ce n’est que deux heures après la rupture du jeûne qu’il est préférable d’enchaîner avec un repas consistant, qui ne doit cependant être ni très gras ni très salé. Ensuite, une marche de 20 à 30 minutes, histoire d’améliorer la circulation sanguine, ferait grand bien au jeûneur, selon notre spécialiste.

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