La proximité n’a jamais été aussi complaisante et généreuse: être chez soi et disposer de toute la merde du monde empilée dans son smartphone. Toutes les conneries qui passaient inaperçues autrefois sont à la une aujourd’hui. Vous pourrez suivre une bastonnade, un lynchage ou une exécution sans vous déplacer ; plus on vous en envoie, plus vous en voulez. L’abonnement est forfaitaire et illimité.
Notre société n’est pas dans ses meilleurs états et ne peut prétendre être meilleure que d’autres ; elle sombre dans ses vices. A vrai dire, la société n’a pas changé, c’est nous qui changeons et espérons toujours la voir comme nous voulons, mais à travers nos comportements erratiques. Chouf ! une injonction expéditive et sans détour qui fait de vous un réceptacle des immondices, un caniveau où des vidéos coulent à flots. Bref, regardez, puis parlez sans réfléchir. Ça n’a jamais dérangé personne que les gens se bagarrent ou s’entretuent, mais dès que ce nouvel intermédiaire nous balance des vidéos en pleine figure, tout le monde est scandalisé et horrifié. Les gens sont tellement fragiles qu’ils sont prêts à consommer et à partager l’horreur à distance. Ils croient pouvoir absorber les craintes des gens avec leurs récits qui frôlent l’amateurisme et jettent la consternation, mais en réalité ils ne font que les amplifier à tel point qu’il suffit que vous croisiez n’importe qui pour qu’il s’empresse de vous soûler avec… Des fois, vous avez l’impression que ces gens anticipent l’événement et sont présents sur les lieux avant même que le drame ait lieu. C’est de cette manière-là qu’on nous instrumentalise pour précipiter notre sentiment d’urgence et nous enfoncer dans la détresse. Les faits divers et les chiens écrasés se relayent pour couronner notre quotidien. Avec Chouf tv, nous avons l’impression que notre vie ressemble à un visage tailladé et lacéré et que tout le monde est sympa et irréprochable mais qu’il peut à tout moment péter un plomb et vous en faire voir de toutes les couleurs, sauf que c’est toujours la faute de quelqu’un d’autre.
Cet engouement pour la crasse et la misère du monde, c’est un peu notre point faible ou plutôt notre face sombre et cachée qui s’extasie devant la contemplation morbide et virale de notre vie et de celle de nos congénères. Le jour où il pleuvra à seaux, que le ciel s’ouvrira pour provoquer un véritable déluge comme il n’y en a jamais eu et que la foudre et le tonnerre pestent pour déclencher des raz de marée, demandez à Chouf tv de couvrir l’événement, et partant d’invoquer Dieu, ou même Zeus si ça lui chante, pour apaiser la nature, sans chercher à pervertir votre nature humaine.
Chouf tv, c’est un peu comme ces bêtes qui aiment s’épanouir dans les milieux malsains ; plus elles y pataugent, plus elles s’y plaisent. Quand il y a une affaire, ils la prennent par la queue, mais pas par la tête. Ils donnent la parole aux laissés pour compte pour qu’ils règlent leurs comptes avec la société en gerbant leur haine et leur dégoût. La souffrance et la misère sont inépuisables et ils continueront à les fructifier comme pour se blinder et s’immuniser. La matière fraîche ne manquera jamais … Des fois, on a l’impression que tout le monde est potentiellement éligible à la dérive et que tôt ou tard nous ferons la une de Chouf tv. Avec Chouf tv, c’est la chanson du ricochet : donnez la parole à un âne, il vous fera des pets, adressez-vous à un renard, il cachera sa queue. Moralité, accommodez-vous, le pays est large et n’oubliez pas d’aiguiser vos gueules pour qu’elles soient bien ferrées ; votre tour viendra.