Khouribga, une ville française… (24)

En 2020, nous célébrons le centenaire de la fondation de la ville de Khouribga et celle de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. Jnaynar Lotti comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé « Loufisse » par les autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul « Magasin » (ma5zen) afin d’éviter la rapacité libérale du secteur privé.  Lyautey se laisse gagner peu à peu par le scepticisme religieux, ses années passées en garnison et son retour au contact de la troupe ont suffisamment nourri son esprit qui mûrit des idées novatrices sur la fonction de l’armée. Au 1er escadron qu’il commande, il bouleverse les habitudes et décide de créer un réfectoire, alors que jusque-là les soldats n’avaient aucun endroit pour manger, un foyer pour les soldats avec une bibliothèque, un billard et des jeux, des cours pour illettrés et une commission consultative pour permettre aux soldats de donner leur avis. Autant de nouveautés qui irritent ses chefs en haut lieu, mais transforment son équipe en escadron modèle. Lyautey fréquente les intellectuels parisiens qui l’encouragent et l’invitent à écrire un article pour la Revue des deux Mondes sur « Le rôle social de l’officier ». Il ne signe pas son texte car il n’a pas demandé l’autorisation à sa hiérarchie pour l’écrire. Lyautey est vite reconnu. Son article crée la polémique parce qu’il défend l’action éducatrice de l’armée au-delà de sa fonction purement militaire. Lyautey, qui veut dépasser les rapports de classes, voit en effet le service militaire comme l’unique moyen de former la jeunesse sur une base égalitaire et combattre l’illettrisme.

Le battage fait autour de cet article fondateur est tel que les lettres d’encouragement et les dons affluent de toute la France. Avec les sommes reçues, Lyautey peut financer l’achat de 133 000 livres pour les bibliothèques de soldats qui se créent dans les régiments.  Après les remous causés par son article, il part pour l’Indochine. Il comprend vite qu’il faut gouverner avec les Indochinois, non contre eux, qu’il faut respecter leurs traditions et s’efforcer de se rallier les élites du pays conquis. Lyautey esquisse tout un pan de la doctrine qu’il appliquera plus tard au Maroc. Il rejoint l’état-major du corps d’occupation à Hanoï, au Tonkin. Il se fait expliquer et comprend vite « la conquête civilisatrice»: le succès militaire est nécessaire, mais il n’est rien sans la structuration du pays conquis : routes, télégraphe, marchés, cultures sont nécessaires ! La pacification du pays doit s’étendre comme la tâche de vin sur une nappe. Lyautey part ensuite pour Madagascar et arrive à Tananarive en mars 1897. Sa première mission est de pacifier la zone dissidente du nord. Une fois les paysans rassurés et remis au travail, il organise le pays où tout manque. Il a carte blanche et en profite pour construire des routes et créer des villes comme Ankazobe (sa passion d’enfance, quand il jouait dans son bac à sable cf. Canard Libéré N°628). Ces cinq années passées à Madagascar le comblent, surtout quand il compare avec la situation qu’il retrouve en France à chaque permission et où le scandale de l’affaire Dreyfus ne fait que s’étendre.

En décembre 1899, à l’occasion d’une de ces permissions, il tient une conférence sur le thème de la politique coloniale, qui paraît dans la Revue des Deux-Mondes sous le titre « Du rôle colonial de l’armée », où il insiste sur l’importance d’une bonne administration des territoires conquis. Les politiques lui conseillent aimablement de se faire oublier. Il s’ennuie et ronge son frein jusqu’à l’été 1903, quand il entend parler de l’insécurité qui règne à l’ouest de l’Algérie où des tribus marocaines du Bled Siba lancent des razzias, pillent et retournent se mettre à l’abri au Maroc. (A suivre)

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