Khouribga, une ville française… (27)

Nous célébrons le centenaire de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. Jnaynar Lotti comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé « Loufisse » par les autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul « Magasin » (ma5zen) afin d’éviter la rapacité du secteur privé.  A la veille de la 1ère guerre mondiale 1914-1918, au Maroc, trois zones de Bled Siba échappent encore à Lyautey et menacent la stabilité du Maroc : Taza bloque l’accès à l’Algérie ; les Zayanes empêchent l’accès à Khénifra ; à Marrakech, El Hiba conteste le remplacement du sultan Hafid par son demi-frère Youssef. Lyautey va soigner l’image du nouveau Sultan Youssef et recréer la dignité de la fonction mise à mal par ses demi-frères Abdelaziz et Hafid: il éloigne les zéropéens venus pour leur vendre des automobiles et organiser de fastueux dîners arrosés de bulles mises au point en 1670 par le moine bénédictin Dom Pérignon. Lyautey les remplace par des dignitaires marocains. Il ne s’est pas trompé dans son choix, car le tempérament d’honnête homme du sultan Youssef est à la hauteur de ses attentes.

Lyautey restaure la grande prière du vendredi, avec le cérémonial antique. Il lui fait célébrer les fêtes religieuses avec respect des traditions comme le faisait son père Hassan 1er. Les Glaoui sont des personnages retors qui vont encombrer tout le monde pendant près d’un demi-siècle. Après s’être assuré que les Glaoui ne vont pas lui casser les siennes, Lyautey affronte les dix mille guerriers d’El Hiba et les met en déroute. Le 1er octobre, Lyautey fait son entrée triomphale à Marrakech et découvre les délices de ses palais et de ses jardins. À la suite de ces hauts faits, les honneurs pleuvent sur Lyautey : il est nommé maréchal, élu à l’académie française, reçoit la légion d’honneur, etc. Les politiciens, ses ennemis d’hier, le pressent d’en finir avec les autres tribus du Bled Siba. Il refuse : « Le Maroc ne doit pas se traiter par la force seule… Je me garderai bien d’aller m’attaquer à des régions qui sont “en sommeil”, qui se mettraient en feu si j’y pénétrais en me coûtant beaucoup de monde et de peine… Si l’opinion impatiente préfère les coups d’éclat prématurés à cette méthode plus lente mais si sûre, on n’avait qu’à ne pas m’envoyer ici ». Lyautey privilégie l’utilisation des goums (de l’Arabe 9aoum قوم) recrutés dans les tribus. Lyautey fixe leur statut en 1913. Les goums aident à établir les contacts avec les tribus rebelles de Bled Siba. L’adhésion des populations, il compte l’obtenir par le développement des régions.

L’urgence au Maroc en 1913, ce sont les infrastructures: routes, chemin de fer, ports et villes. Il consulte les indigènes, les informe de ses projets. Il consacre des journées entières à s’entretenir avec les chefs religieux, les commerçants, les notables, qu’il séduit par la franchise et l’attention avec laquelle il les écoute. Quand il ne peut pas faire autrement, il recourt à la force. Son projet de liaison ferroviaire avec l’Algérie se heurte aux rebelles de Taza. Il faut l’armée pour sécuriser le parcours. Il réussit au prix de durs combats et est rejoint par les forces venues d’Algérie. En juin, il libère Khénifra.  

Lyautey va être stoppé net par la première Guerre mondiale 1914-1918. Après avoir été informé par les politiciens belliqueux, Lyautey, réagit comme le socialiste Jean Jaurès et pique une crise : « Mais ils sont fous ! Une guerre entre Européens, c’est une guerre civile… C’est la plus énorme ânerie que le monde ait jamais faite ! ». Jean Jaurès sera assassiné par l’extrême droite qui lui reprochait son pacifisme en le traitant de « gonzesse » (cf. Le Canard Libéré – Les dinosaures de Jaurès Park – numéro 357 à 384). (A suivre)

Traduire / Translate