Nous célébrons le centenaire de Khouribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nomment les indigènes des Ouled Abdoun, en signant le décret du 27 janvier 1920, est conscient du caractère exceptionnel de l’Office, prononcé ‘‘Loufisse’’ par les autochtones, et décide d’en confier l’exploration et l’exploitation au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen) afin d’éviter la rapacité du secteur privé. La découverte fortuite des phosphates chez les Ouled Abdoun, faite en 1917, à l’occasion des travaux de la ligne de chemin de fer Casablanca/Oued-Zem, va booster l’économie du Maroc. Lyautey a fait appel aux écrivains pour mettre en valeur le Maroc. Il s’est inspiré du rôle que Pierre Loti a pu jouer en février 1889, à l’âge de 39 ans, lorsqu’en tant que membre d’une mission diplomatique, il s’était embarqué pour un périple en terre marocaine. Auteur et journaliste à succès, Pierre Loti a retracé dans un livre le parcours de la caravane ministérielle française qui a sillonné les territoires des tribus plus au moins inféodées au Magasin du Sultan Hassan 1er.
À Fès, alors que la délégation française était cloîtrée dans les appartements luxueux du Sultan pour assister aux cérémonies officielles, Pierre Loti partait à la découverte de Fès. Habillé d’une djellaba marocaine qui lui permettait de se fondre incognito dans la médina pour découvrir le Maroc intime qui le fascinait tant par l’intemporalité que par le mysticisme religieux qui y règnent. Pierre Loti, dans son livre, laisse transparaître son amour pour cette terre qui a su préserver un idéal d’absolu et résister à la modernité occidentale. La description que fait Pierre Loti du Mellah (quartier juif) de Meknès (ville considérée à l’époque comme la petite Jérusalem) rappelle les actuels ghettos européens où vivent les minorités. Pierre Loti décrit la misère et les immondices qui s’accumulent sur le pas des portes. La promiscuité y est abominable.
Le Magasin de l’époque ne permettait pas à la judaïcité de vivre en dehors du Mellah. Selon Pierre Loti : « le Sultan Hassan 1er est très doux pour les juifs et leur ait promis de leur faire bâtir une ville où ils espèrent bientôt s’agrandir et respirer mieux ». Il décrit des enfants impubères vivant en couple du fait d’un usage courant chez les juifs marocains : « Les mellahis ont un teint “pâle ou rosé”, les jeunes, un peu efféminés, sont “frais et roses”, les femmes “pâles, blanches comme de la cire” ». Malgré la vie du ghetto, le Mellah de Meknès a donné de brillantes personnalités au Maroc (Assaraf, Berdugo, Ohana, Tolédano… ainsi que l’actuelle journaliste Ruth Elkrief, née à Meknès en 1960 et arrivée en France à 14 ans, dont les ancêtres devaient être certainement des négociants en ovins : la transcription de son nom a perdu le « h» d’Elkhrief : petit agneau). Un de ses grands-oncles, Chalom Messas, a été grand Rabbin du Maroc puis de Jérusalem.
Frappé par le succès des livres de Pierre Loti, Lyautey invite, cornaque et cajole toute une série d’écrivains dont les deux André, Maurois et Gide et Jean Giraudoux entre autres : la personnalité de ce dernier semble avoir séduit le Sultan Youssef. S’ils arrivent sans le sou, Lyautey subvient à leurs besoins matériels et il est payé de retour par des livres qui participent à forger le mythe marocain. Parmi les livres passés à la postérité : Rabat ou les heures marocaines ; Marrakech ou les seigneurs de l’Atlas ; Fès ou les bourgeois de l’Islam ; Âmes maghrébines ; Derrière les vieux murs en ruines ; In Morocco ; les Hommes nouveaux ; Lyautey l’Africain ; Visions du Maroc ; Marrakech dans les palmes; Un crépuscule d’Islam ; Un printemps au Maroc ; Le Miracle du Maroc ; Henry de Bournazel, ou Le Gouffre… (A suivre)