Khouribga, une ville française… (44)

En ce mercredi, une semaine après la fin du Ramadan, Mo7amed Ben Jilali (Benji pour les intimes) inspecte, comme toutes les semaines à la même heure, l’intégrité des murailles de défense du marché hebdomadaire de Mnina qui se tiendra demain jeudi (sou9 la5misse). Mnina est un simple point d’eau au nord des quatre chemins de l’actuelle 5ribga. La saison agricole a été difficile suite à l’attaque des sauterelles venues en masse du «bled Assoudanes » (pays des Noirs) et il y a de fortes chances que les belliqueux Chaouias attaquent le sou9 pour rafler les marchandises exposées à la vente. Sa nièce Claire (Sfia), qu’il apprécie beaucoup car c’est une ‘‘7adga’’ (vaillante) hors du commun, est chargée d’inspecter la disponibilité des « matmoura ». Ces silos souterrains sont de grands trous profonds situés dans les lieux éloignés des eaux. Ils sont larges par le bas et cavées dans le roc. Leur entrée, qui est faite à la mode d’un puits, est fort étroite, et une personne avec une échelle de corde a bien de la peine à y descendre ; elles se ferment avec une pierre large à proportion. C’est dans ces matmoura que les Ouled Abdoun serrent leur blé, leur orge et autres légumineuses (fèves, lentilles, pois chiches), leur viande séchée (Guadide) conservée dans du beurre (5li3), miel, huile et généralement toutes leurs provisions et commodités.

La tactique des 3abdounis est bien rodée : les hommes se postent avec leurs fusils à l’abri des meurtrières pour retarder l’assaut des Chaouias, pendant que Claire et ses trois cousins, les fils de Benji (le Ztawri, le Bon et le Buveur d’athaye) rameutent les marchands du sou9 pour planquer leurs biens dans les matmoura. Comme dans le film Western de John Wayne, quand les troupes mexicaines lancent un assaut contre la mission Alamo à San Antonio aux Etats-Unis, il faut tenir à distance les belligérants. Pendant son inspection des murailles, Benji est loin d’imaginer qu’un siècle plus tard, ses arrière-petits-enfants viendraient en vacances pour poser en photo devant les vestiges de ces murailles. Satisfaction (رضا) et 7mizou s’amusent à jouer les guetteurs pour alerter au cas où, on ne sait jamais, des Chaouias attaqueraient sou9 la5misse et son fameux puits qui permettait d’obtenir un athaye inégalable, que jamais aucun 3abdouni n’arrive à refaire ailleurs qu’à Mnina. Depuis que la modernité nous fait boire de l’eau javellisée amenée sur une centaine de kilomètres depuis le Moyen Atlas dans des tuyaux fabriqués dans des usines ou l’homme libre est devenu un simple salarié qui attend sa pitance sous forme d’un salaire une fois le mois alors qu’il l’a déjà dépensée en diverses frivolités. L’Homme-vache à lait des ‘‘marketeurs’’ marche dans la rue à la façon de Neymar avec un téléphone collé à ses oreilles. Téléphone, bêtement nommé intelligent (smartphone), siglé d’une image de pomme mordue par un ‘‘mirikani’’ d’origine syrienne (Steve Jobs), qui nous prend pour des poires. Téléphone fabriqué par des enfants payés avec un bol de riz.

L’Homme est fier avec sa sbardila (espadrille) siglée d’une virgule qui « nique » ses économies car elle coûte très cher en spots publicitaires. Sbardila fabriquée par d’autres enfants qui mangent des nems et dont seuls les Chinois savent ce qu’il y a dedans. Il porte des survêtements allemands à trois bandes fabriqués par des Bengalis qui rêvent d’émigrer en Chine pour manger du pangolin. Les arrière-petits-enfants de Benji gardent un excellent souvenir de leurs cousinades, se promettent de se revoir dans la Résidence des Quatre Chemins de Mnina pour un méchoui inoubliable afin de fêter comme il se doit le centenaire de 5ribga et de l’OCP, l’Office Chérifien des Phosphates voulu par Lyautey. ‘‘Jnaynar Lotti’’, comme le nomment affectueusement les 3abdouni, en signant le décret du 27 janvier 1920, il était le seul à être conscient du caractère exceptionnel de ce ‘‘Loufisse’’. En confiant l’exploration et l’exploitation de l’OCP au seul ‘‘Magasin’’ (ma5zen), il a ainsi évité la rapacité du secteur privé. Dès juin 1921, la première cargaison de phosphates fut transportée à bord du train de Boujniba vers le port de Casablanca.(A suivre)

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