– Bonjour, tout le monde ! J’espère que vous avez passé une bonne semaine de ramadan. La première est toujours particulièrement éprouvante… pour les jeûneurs, j’entends ! Pour ce qui vous concerne, ce n’est pas le cas, sinon vous ne seriez pas là ! Je rappelle que nous nous retrouvons pour la deuxième fois en tant que membres de l’AMRA, «Les Mangeurs de Ramadan anonymes» et je profite de l’occasion pour saluer les petits nouveaux qui nous ont rejoints… Maintenant, et sans plus tarder, je donne la parole à Lhaj Omar. Je rappelle que Lhaj est retraité depuis quelques années. Il a toujours scrupuleusement observé le jeûne depuis sa plus tendre enfance, même lors de ses études à l’étranger, dans un contexte peu propice pour ce faire. Je vous parle d’un temps où les musulmans ne prenaient pas leurs aises en Occident ! Mais depuis quelques années, il a dû jeter l’éponge suite à des problèmes de santé. Lhaj, vous avez la parole !
– Effectivement, je suis un croyant pratiquant hamdoullah. Je n’ai jamais raté une prière sauf –qu’Allah me pardonne– pour regarder une finale de Champions League ! Oui, je suis aussi un fervent amateur de foot, comme beaucoup de nos amis ici présents, j’imagine. Rajaoui-Barçaoui, je tiens à le préciser… « Dima, Dima, Raja » ! Hélas, l’état de ma prostate m’interdit d’aller encourager les aigles verts sur le terrain, mais je ne rate aucun de leurs matchs à la télé… Pardon, je m’égare ! Voilà maintenant trois ans que mon médecin traitant m’a fortement déconseillé de « faire ramadan » à cause de mon cholestérol et d’un foie en piteux état… sans oublier ma prostate ! Que voulez-vous, l’âge, ça ne pardonne pas ! Mais mon fquih a opposé son veto catégorique. Il affirme que ce docteur n’est qu’un vil mécréant qui ira brûler en enfer pour incitation à la débauche religieuse ! Oui, comme vous, je trouve qu’il va un peu loin, ce fquih, mon médecin étant un homme de bien… Tout ce qu’on pourrait lui reprocher, c’est d’être un supporteur widadi et de préférer le Real au Barça… Mais personne n’est parfait et ça ne mérite pas l’enfer, on est d’accord ? Pour Lhaj Thami, mon fquih, un malade peut bien sûr s’abstenir de jeûner, et l’Islam n’est pas une religion rigide. Mais selon lui, c’est de maladies graves qu’il est question et non de « petits bobos » comme les miens. Il a donc décrété définitivement que mon médecin était un kafer qui s’ignorait et un incompétent notoire qui ne saurait en savoir plus sur le sujet que les vénérables théologiens d’Al Azhar qui ont passé leur vie à étudier la question… Voilà, j’en suis là !
– Donc, finalement vous aviez à choisir entre votre foie et votre foi ? Excusez-moi pour cette vanne douteuse ! Je veux dire entre l’homme de science et le théologien ?
– Tout à fait… Mais ma famille m’a convaincu que ma santé était prioritaire et qu’Allah était grand et miséricordieux. Ceci dit, je me cache quand même pour manger… comme les oiseaux pour mourir !
– Par égard pour les jeûneurs, n’est-ce pas ? C’est tout à votre honneur, cher ami !
– Euh oui, si on veut… Mais aussi par souci de préserver mon intégrité physique. Que vous soyez malade ou pas, si vous croisez un illuminé, vous pouvez craindre le pire ! Et même si on ne vous agresse ni physiquement ni verbalement, il y a des silences assourdissants et des regards qui tuent ! Tout cela ne m’aide pas à avoir bonne conscience… Voilà pourquoi je suis parmi vous ce soir comme un grand nombre de nos amis. (A suivre).
